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BIDONVILLE DU HAVRE #2 DÉTRUIRE

Stany Cambot ,Western

Le Havre mercredi 28 août 2013

Carnet de l'insensé républicain #2
détruire le Rrom épargné l'artiste
Il faut imaginer une scène de guerre, une « ville (ou un morceau de celle-ci) détruite par des hommes en uniforme ».

Au milieu, deux frêles édifices de toile, de fils et de bois encore intactes.

On se plairait alors à croire à un miracle, à un filtre protecteur et mystérieux de légende grecs. Non, juste l'insensé, encore.

Ces uniformes déjà venus compter les corps à évacuer, corps de femmes, corps de vieillards, d'hommes et d'enfants sont revenus au petit matin, comme il se doit, pour procéder. À la porte cependant ils rassurent « Echelle Inconnue, on connaît... On ne touche pas aux toilettes sèches... On ne touche pas à une œuvre d'art, ordre du préfet ! »

Ainsi, habitations, meubles de fortunes, poêles à bois fabriqués à grand renfort d'ingéniosité détruits, réduits en un fracas de planches, de bâches et de tôles que déjà d'autre pauvres viennent piller pour les revendre au ferrailleur d'à côté ; les corps ont été évacués, le reste suivra, mais les toilettes restent debout « ordre du préfet » qui, il est vrai, avait jeté son accord pour leur installation. Merci citoyen !



Le reste s'évacue donc à petites brassées tout comme les corps, pas très loin, jetés là, dans un square, où les familles perdues passeront leur deuxième nuit à la belle étoile. La préfecture joue au peintre de genre : scène pittoresque et toute XIXe du campement de bohémien. Car ici on détruit des quartiers auto-construits pour créer des campements, des vrais, sur un bout de trottoir.
Insensé !

Comme ces délégations ministérielles qui ne peuvent que soumettre ou proposer à des sous-préfets, véritables monarques en leur royaumes, des solutions sensées.
Insensé !

Comme ces propriétaires du terrain dévasté qui viendront demain nous accompagner pour que nous ne soyons pas inquiétés par les ouvriers en charge de l'ultime déblaiement.

Il y a les "clients" de l'administration, de l'État, que l'on nous montre à longueur de colonnes et de JT fondant sur les bidonvilles pour en chasser l'envahisseur. Portrait robot médiatique du citoyen, vite démenti quand on s'y attarde ou que l'on prend la peine d'écouter ces chefs d'entreprise et leur employés sélectionnant le matériel de construction pour le bidonville et aidant à le charger dans le camion, cette voisine qui « prête » son électricité pour que l'on puisse organiser des projections, cette autre, qui le soir de l'expulsion nous invite à une visite guidée du quartier de l'Eure pour nous faire découvrir les lieux où les familles pourraient s'installer au cri riant de "il y a beaucoup d’opportunités ici!"

Mais voilà, l'insensé mariage du bulldozer et de l'uniforme célèbre les noces sur les gravas. Son bruit couvre le bon sens.

Dormant à la belle étoile, les familles sortent des problématiques de logements pour entrer dans celles de la circulation et du code de la route. Les polices passent, demandent de bouger, circuler, évacuer, juste un peu loin, sur un espace qui ne soit pas de leur ressort « car vous savez, on ne fait pas ça de gaieté de cœur. Et on sait bien, il n'y a pas solution. Et puis si les autres passent, ce sera une autre histoire ! » Un peu plus loin donc, hors de la ville et ses pouvoirs de police, sur un autre espace institutionnel, « Pourquoi pas le port ? Ou alors les marais ? » Le port autonome ou la réserve naturelle sauront bien s'en débrouiller.

Manière insensée de les remettre toujours en mouvement.







Le Havre, jeudi 29 août 2013

Carnet de l'insensé républicain (et peut-être ecclésiastique) #3
Après une expulsion, il faut chercher de nouveau où dormir de nouveau. Parce que ; oui, l'Homme est ainsi fait qu'il a besoin de fermer les yeux quelques heures dans une journée. Les Rroms que l'on voudraient si différents, ne dérogent pas à la règle.



Après quelques journées d'errance dans la ville du Havre, quelques unes des familles du Platz ont trouvé refuge derrière une église dans le quartier de l'Eure !



L'appel à la solidarité lancé, en écho au discours du pape François, par l'évêque du Havre laissait croire à un bon accueil des familles par les autorités ecclésiastiques. Il n'en fut rien et c'est finalement de prise d'otage des paroissiens que fut qualifiée l'installation des familles.



L'évêque du Havre, Jean-Luc Brunin, a donc fait constater leur présence par un huissier (le 22 juillet) quelques jours après leur installation et les a sommé de partir, parce que dit-il ; « Je ne peux pas accepter que la communauté chrétienne soit mise devant le fait accompli (...) L’Église ne peut pas jouer les Zorro de service : nous sommes pour un partenariat inter-associatif, avec les services de l’État, la municipalité, etc. »



Une charité conventionnée avec l’État en somme.



Deux jours plus tard, lors d'une rencontre sur le terrain occupé (jeudi 25 juillet), l’évêque a promis un autre terrain aux familles, si une convention tri-partite était signée. Faire signer une convention tri-partite en pleine été, cela relève de l'exploit, mais le collectif "l’hébergement, l'urgence c'est maintenant" et Échelle Inconnue s'y attellent.



L'oreille de la république ici se tendra-t-elle davantage à la voix de l'Église ? Ou la muette convention entre les parties signe-t-elle déjà la volonté de retarder encore et encore l'installation de familles jetées dans encore plus de précarité ?



Pour l'heure, ces familles sont toujours sous le coup d'une expulsion.







Le Havre , mercredi 23 octobre 2013

Carnet de l'insensé républicain #4 - Ce qu'il reste du Platz


Trois mois après l'expulsion du Platz, le terrain est toujours là, vide. Un projet de caserne devrait voir le jour d'ici 5 à 10 ans. Temps pendant lequel le terrain ne peut être construit. Temps pendant lequel le terrain devrait se dépolluer.

À rabattre l'ensemble des raisons qui pourraient conduire des familles à la rue, il est difficile d'y entrevoir une logique. En revanche, celles mises en œuvre pour que le terrain reste sans âme et sans vie est inscrite depuis des décennies dans les manuels d'urbanisme. Haussmann et, avant lui, Napoléon, utilisaient déjà les mêmes logiques. Détruire pour rendre visible.

La transparence comme sécurisation d'un lieu. Ici, des murs d'enceinte tombés, qui entouraient le Platz, ont poussé de grandes grilles vertes, laissant filtrer le regard et empêchant d'y adosser des cabanes. Au risque que d'autres, motorisés cette fois, puissent un jour s'y installer également, de grosses pierres noires ont été déposées tout les mètres, comme précaution supplémentaire. Ces raisons ont un coût. Expulser et maintenir un lieu vide de toute tentative de vie coûtent cher à nos institutions.

L'expulsion du bidonville du Platz a nécessité :

> Un diagnostic social, ici réalisé par l'Association Française des Femmes en Difficulté et l'Armée du Salut pour un montant de 15 000 euros

> Des préparatifs au sein des institutions (réunion de travail en mairie, en préfecture, à la région, au conseil général), pour un montant d’environ 10 000 euros

> Des frais de justice (arrêté d'expulsion, recours, temps de travail des juges, avocats, etc.), dont le montant est difficile à calculer

> Une expulsion (présence de 50 CRS à 97 euros/jour et de camions, locations de pelleteuses à 870 euros/jour), pour un montant d'environ 7500 euros

> Un nettoyage du terrain

> Des propositions d'hébergement (20 places pendant 3 mois, ainsi que 20 repas par jour. Les 87 personnes du bidonville se sont relayées toutes les semaines) à l'Armée du Salut, pris en charge par le DIHAL et la DDCS, pour un montant de 65 000 euros

Soit 97 500 euros



Maintenir le terrain vierge de toute intrusion nécessite :

> La démolition de 280 mètres linéaires de mur en béton (hauteur 2,00 m) à 30 euros/m2, et la mise en benne, pour un montant de 18800 euros

> La pose de 230 mètres linéaires de grille verte (hauteur 2,00m), c'est-à-dire 90 plaques à 60 euros l'une, pour un montant de 5400 euros

> La pose d'environ 70 pierres d'une tonne chacune (100 euros la tonne), pour un montant de 7000 euros

Soit 31 200 euros



À ces montants s'ajoutent également les frais de délivrance d'OQTF (Obligation à Quitter le Territoire Français), plusieurs en mai dernier et une en octobre.

En l'espace de 6 mois, les institutions ont déboursé plus de 130 000 euros, quand nous savons que l'accompagnement et l'aménagement de l'enfer du bidonville coûte bien moins.

Insensé d'une république qui a pourtant fait de la calculatrice le « LA » de ses politiques.

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Réalisation : Échelle inconnue
MAKHNOVTCHINA
MAKHNOVTCHINA
Makhnovtchina est un repérage actif des nouvelles mobilités urbaines et périurbaines à l'heure des grands projets de métropolisation. C'est un atelier itinérant de production participative d'images (fixes, vidéos, ou multimédia), de textes, de cartes, de journaux, « Work in progress ». Ce travail mené par des architecte, géographe, créateur informatique, sociologue et économiste vise à terme la proposition d'architecture ou d'équipements mobiles et légers. Ce travail vise, en outre, à explorer les futurs vides ou terrae incognitae que créent ou créeront les métropoles. Il propose une traversée du terrain d'accueil pour « gens du voyage » au marché forain en passant par les espaces des nouveaux nomadismes générés par la déstructuration des entreprises, notamment de réseau (EDF, GDF, France télécom...), ainsi que par les campings où, faute de moyens, on loge à l'année. Une traversée, pour entendre comment la ville du cadastre rejette, interdit, tolère, s'arrange, appelle ou fabrique la mobilité et le nomadisme. Ce projet de recherche et de création s'inscrit dans la continuité de certains travaux menés depuis 2001 : travail sur l'utopie avec des « gens du voyage » (2001-2003), participation à l'agora de l'habitat choisi (2009), réalisation d'installation vidéo avec les Rroms expulsés du bidonville de la Soie à Villeurbanne (2009) et encadrement du workshop européen « migrating art academy » avec des étudiants en art lituaniens, allemands et français (2010). Il tente d'explorer les notions de ville légère, mobile et non planifiée avec ceux et celles qui les vivent.