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EDITO JOURNAL À TITRE PROVISOIRE N°6 : MAKHNOVTCHINA /HACKING OUVRIER VS LE HÉRO VERNIEN EN SWEAT À CAPUCHE

Numéro 6


Le patient travail de capture des mots au lasso institutionnel tend à débarrasser nos pratiques de leurs promesses émancipatrices. Ainsi la mode des « Hacks », des « Fabs » des « Labs » et autres « Spaces », dissections et ré-assemblages de mots opérés par communication et marketing dévitalisent les pratiques radicales. Fleurissent alors « hackathons », « hack ta ville » (ville pouvant en l'occurrence être remplacée par n'importe quel autre mot). Tout espace d'utilisation d'ordinateurs et de machines devient vite un FabLab. Au cri de démocratisation de la chose numérique, ou de résolution de la fracture numérique, poussent un peu partout ces bacs à sable inoffensifs. Ces différentes opérations, quand elles ne visent pas simplement à promouvoir des entreprises privées de services de type collaboratif, sont autant de stratégies pour contourner l'enjeu véritable du hacking ou bricolage : le renversement de notre rapport aux machines et à la production.

La modernité industrielle s'est réalisée au XIXème siècle par la division du travail que le travail à la chaîne viendra peaufiner. Cette division en séries de gestes répétés n'est en définitive que le pendant industriel d'une conception positiviste du monde et de la nature. Dans cette conception, l'objet scientifique « grenouille » par exemple, se construit par l'assemblage des études de chacunes des parties disséquées. Tout va bien... jusqu'à ce qu'on en vienne à confondre la fiction scientifique « grenouille » avec la grenouille même. À ce jeu on ne traite plus désormais que des cadavres de grenouilles ou d'ouvriers.
Cette manière de penser le monde qui s'appuie pour les sciences sur le duo scientifique/mécène, s'appuiera pour l'industrie et la production d'objets et de machines sur un trio que Jules Verne mettra régulièrement en scène dans ses romans : le banquier, le politique (ou prince) et l'ingénieur. Voilà les dieux du panthéon capitaliste et industriel moderne que nous peinons à tuer.

Washington 2015
Ingénieur d'une grande entreprise de sécurité informatique, il vient d'obtempérer à la supplique accompagnant le virus installé sur un des serveurs dont il a la charge, « s'il te plaît, ne m'efface pas ». Quelques heures plus tard, il suit un clochard croisé dans le métro jusqu'à une fête foraine.
Là, un maigre couloir les mène à une salle de jeux vidéo désaffectée. C'est le hackerspace de FSociety, un groupe décidé à effacer les données bancaires concernant les dettes des particuliers suite à la crise des subprimes de 2008.

Moscou, septembre 2014,
Un chantier dans le quartier des Trois-Gares. Un T en bois est planté au toit du container qui sert d'habitation à la brigade d'ouvriers. Fixées à celui-ci par des colliers en plastique, deux canettes vides et une fourchette. « L'antenne là, c'est pour la télévision ? - L'ouvrier ouzbek hausse les épaules - Bah non, c'est pour le wi-fi ! »
La première séquence est une des scènes inaugurales de la série télévisée américaine : Mr Robot. La seconde est un épisode vécu pendant les repérages de campements ouvriers à Moscou. Entre les deux ? Un monde ? L'opposition entre fiction et réalité ? Entre mythologie high-tech et conditions de travail ? D'un côté l'action « gratuite », ludique et offensive mais à haute conséquence de l'ingénieur, de l'autre la nécessité de l'ouvrier ? Ou doit-on au contraire y voir ou écrire une continuité dépassant une manière de séparer et hiérarchiser la société selon des relations de domination ?
Voulant restaurer les valeurs du hacking, The Critical Engineering Working Group définit malheureusement dans son manifeste le hacker comme « ingénieur critique » seul capable d'analyser le fonctionnement interne de la technologie et de là notre dépendance à celle-ci.
Seul capable encore de déstabiliser l'espace de production de la technologie. Ici, comme dans la série télévisée, le hacker en sweat à capuche, demeure l'ingénieur héros libérateur et remède à la crise. On peut lire là, une continuité avec les discours techno-politiques voyant dans le numérique l'ultime Eldorado de la sortie de crise que l'on peut observer dans les gesticulations de la French-tech ou les projets moscovites de la Silicon Valley russe. Or, les promesses du bidouillage/hacking/bricolage portent un autre enjeu. Celui de la maîtrise même du monde des objets non par un « public » mais par NOUS « grenouilles-ouvrières » ! Peut-être s'agit-il moins d'ailleurs de reprendre la production que de proprement la défigurer.

Sommaire du numéro 6
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DROITS DE PROPRIÉTÉ INCOMPLETS ET COPIES COMME PROCESSUS PRODUCTIF
DU BRICOLAGE À L'ARTISANAT EXEMPLE DES GARAGES À SHANGHAÏ
HACKING (DU) QUOTIDIEN
EDITO JOURNAL À TITRE PROVISOIRE N°6 : MAKHNOVTCHINA /HACKING OUVRIER VS LE HÉRO VERNIEN EN SWEAT À CAPUCHE
HACKINGBOAT, TU FAIS QUOI LÀ, LE MANOUCHE SUR L'EAU ?
LE BRICOLAGE NECESSAIRE DE LA VILLE FORAINE
LES PROMESSES DU BRICOLEUR
BRICOLAGE ET MÉTIERS DE LA CRÉATION

MANIFESTE DU DESIGN LIBRE
PLATES
CAFÉ ARMÉNIEN UN PEU BRICOLÉ SUR POÊLE TATAR DANS UN GARAGE DE SHANGHAÏ, MOSCOU

Réalisation : Échelle inconnue

MAKHNOVTCHINA
MAKHNOVTCHINA
Makhnovtchina est un repérage actif des nouvelles mobilités urbaines et périurbaines à l'heure des grands projets de métropolisation. C'est un atelier itinérant de production participative d'images (fixes, vidéos, ou multimédia), de textes, de cartes, de journaux, « Work in progress ». Ce travail mené par des architecte, géographe, créateur informatique, sociologue et économiste vise à terme la proposition d'architecture ou d'équipements mobiles et légers. Ce travail vise, en outre, à explorer les futurs vides ou terrae incognitae que créent ou créeront les métropoles. Il propose une traversée du terrain d'accueil pour « gens du voyage » au marché forain en passant par les espaces des nouveaux nomadismes générés par la déstructuration des entreprises, notamment de réseau (EDF, GDF, France télécom...), ainsi que par les campings où, faute de moyens, on loge à l'année. Une traversée, pour entendre comment la ville du cadastre rejette, interdit, tolère, s'arrange, appelle ou fabrique la mobilité et le nomadisme. Ce projet de recherche et de création s'inscrit dans la continuité de certains travaux menés depuis 2001 : travail sur l'utopie avec des « gens du voyage » (2001-2003), participation à l'agora de l'habitat choisi (2009), réalisation d'installation vidéo avec les Rroms expulsés du bidonville de la Soie à Villeurbanne (2009) et encadrement du workshop européen « migrating art academy » avec des étudiants en art lituaniens, allemands et français (2010). Il tente d'explorer les notions de ville légère, mobile et non planifiée avec ceux et celles qui les vivent.