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LES PROMESSES DU BRICOLEUR
BRICOLAGE ET MÉTIERS DE LA CRÉATION

Numéro 6


Jérôme GUÉNEAU, architecte, doctorant au centre Norbert Elias, EHESS Marseille

Tout ou presque peut être dit bricolage. Porté dans la langue courante tout objet, action et situation peut être dit bricolé. Il y aurait du bricolage partout, il serait constitutif même de nos stratégies mises en oeuvre dans notre interaction avec le monde vécu, « [...] processus fondamental au principe de l'existence des sociétés » (C. Javeau, 2010, p. 91)
On s'en tiendra ici aux bricolages pour la maison, petites affaires de l'intérieur, aux objets fabriqués, déplacés et accumulés qui font les décors des vies, leur écrin décoré. C'est en s'appuyant sur des recherches qui portent sur les bricolages de nos intérieurs [1] et le projet mené pour le pavillon belge de la 14 e Biennale internationale d'architecture de Venise [2] que je croiserai les figures de l'auteur, ses légitimités en droit et la figure du bricoleur.

« Pratiques habitantes » - Un projet pour la 14ème Biennale internationale d'architecture à Venise
À travers le relevé photographique de plusieurs centaines de logements en Belgique, des architectes ont constitué un catalogue des dispositifs et aménagements intérieurs réalisés par leurs habitants. Mais ces dispositifs sont extraits du contexte dans lequel ils s'inséraient (la pièce du logement, le logement, l'édifice). Extraits de leur contexte, ces productions, ces objets fabriqués issus de « pratiques habitantes » dessinent par leur accumulation, un nouveau paysage domestique de la Belgique, un paysage de ses intérieurs. L'architecture, celle de l'édifice, du logement s'en trouve alors comme « absorbée » par la mesure de ses occupations par ses habitants. Ce catalogue se présente alors comme un recensement de parts de mémoires de l'infinité des gestes et récits des habitants « [...] les gestes et les récits manipulent des objets, ils les déplacent, ils en modifient les répartitions et les emplois. Ce sont des « bricolages », conformes au modèle que Lévi-Strauss reconnaissait au mythe. » (M. de Certeau, L. Giard, P. Mayol, p. 201)

Ce travail doit beaucoup à la commande passée en son temps (1979) à François Hers [3] de photographier les logements sociaux en Belgique. Il en avait photographie « [...] plus de cent, de la cave au grenier [...], flot de quolifichets, de bibelots, de couleurs criardes où se sont englouties les pâles figures de l'habitant. [...] célébration de la démesure quotidienne » (J.F. Chevrier p.5-6 ). D'autres s'inscriront dans cette suite de l'enquête de François Hers et Sophie Ristelhuber, devenue fameuse, tel le travail photographique d'Hortense Soichet, « Ensembles [4] » qui en 2011/2013 « s'intéresse aux manières d'habiter » dans des quartiers de logements sociaux en Seine-Saint-Denis, dans l'Oise et en Haute-Garonne. Son ouvrage de photographies des intérieurs nous montre « la mise en scène du décor [...] destinée à autrui, regardeur, visiteur. »
Mais ce recensement par les architectes des « pratiques habitantes » pour la 14ème Biennale d'architecture, prend tout son sens dans son exposition à Venise. Une sélection des dispositifs relevés lors de l'enquête photographique est reproduite à l'échelle 1/1 sous la forme de maquettes blanches en mousse, réalisées à l'aide des techniques de prototypage rapide. Les objets dans un curieux retour en arrière, une inversion, deviennent des maquettes. Ces maquettes, abstraites, défaites des matérialités sensibles des objets (couleurs, nature des surfaces, etc.) réduits à la seule forme, en débarrassant l'objet de toute lisibilité de ses usages, se donnent à voir comme projet. C'est donner à voir ce qu'ils n'ont sans doute jamais été, une construction abstraite a priori qui sera exécutée a posteriori à partir de sa modélisation.

Le travail de Catherine Rannou et l'Agence Internationale [5], qui tend à gommer les distinctions entre projet et réalisation fait écho au projet exposé à Venise. L'Agence Internationale met en oeuvre un leurre ; elle recense des constructions, hangars, appentis, cabanes et mobiliers autoconstruits à travers le monde, vernaculaires sans auteurs ou non identifiés et les met en dessin avec les moyens des outils logiciels de l'architecte. Opération de renversement, travail à l'envers de celui de l'architecte qui vise à une réévaluation de ces constructions en leur donnant une visibilité, un statut d'oeuvre par la revendication d'auteur de l'Agence. Ce travail critique qui parle de troc et d'échange, de contribution et de participation, conteste la notion de projet qui détermine les métiers de la création.

« Le futur n'existe pas » [6]
Ces « pratiques habitantes », bricolages et autoconstructions qui nous sont donnés à voir à Venise et par l'Agence Internationale, sont réinvestis par les architectes qui en permettent la visibilité, à travers une fiction. Cette fiction c'est de donner à ces bricolages, une modélisation de leur devenir, un projet antérieur à leur production, une rétrofiction ou pour parler comme Elie During et Alain Bublex, un rétro-futur, un futur antérieur à leur existence réalisée. Et ce futur antérieur a une existence propre indépendamment des objets produits, c'est le projet. « Tout comme le futur en général, les rétro-futurs ont leur mode d'existence propre. Ce sont des projectiles. Tout projet se nourrit de ces lignes de futuration dont le tracé se prolonge jusqu'à nous [...] » (E. During, p.2). Elie During parle de « rétro-types » à propos du travail artistique d'Alain Bublex, travail de réactivation de futurs possibles qui n'ont pas eu lieu pour des objets produits par l'industrie « [...] aider un futur relégué à trouver une réalisation provisoire » (E. During, p.61). Étranges correspondances de la nature de rétro-type qui peut servir ici, à designer le travail des architectes dans leur modélisation des futurs possibles dont ils explorent les potentialités puisque si « le futur du présent n'existe pas, il faut le faire » (E. During, p.7). Si bricoler est bien de l'ordre du projet qui se justifie à partir d'une demande ou d'une exigence pratique, si le bricoleur dit ce qu'il projette de faire, ce qui fait son programme, il ne représente pas ou peu l'objet de son entreprise. S'il y a bien des dessins, ils constituent dans la plupart des cas, des inventaires, quantités et débits nécessaires... Le bricoleur liste, c'est-à-dire qu'il additionne, l'un après l'autre, matériaux et productions dans leur singularité. Il n'y a pas ou de manière elliptique, ledit descriptif ou la représentation modélisée de ce qui sera fait.
C'est souvent ce qui existe déjà qui est appelé à illustrer le projet « je prends le catalogue CAMIF, ça donne une idée », « je discute beaucoup, vais voir, faut faire comme ci, comme ça » (J.Guéneau, Journal d'enquête ). S'il y a bien un projet il s'incrémente dans le geste du faire. Pour Leroi-Gourhan, la rareté du document révèle la tendance du bricoleur à négliger les traces à laisser à la postérité. Il n'y a pas d'Histoire du bricolage comme il y a une Histoire de l'Art ou de l'Architecture. Cette absence de modélisation est un des traits du bricolage qu'on rapproche par cette observation de l'artisan, artisan, figure de l'âge préindustriel qui conduit son travail dans une habileté qui mobilise l'intelligence et l'expérience « pour une maîtrise de l'ensemble du procès de fabrication », artisan maître de l'oeuvre et du temps nécessaire à sa réalisation, son kaïros. Par cet acte de disjonction du projet et de sa réalisation opérée par les modernes, on aura défait « une mémoire dont les connaissances sont indétachables des temps de leur acquisition » (M. de Certeau, p.125), on aura défait corps et mémoire, de ce savoir incorporé, séparé l'imaginaire du faire.

Bricoler n'est pas un métier - La promesse du bricoleur
De nombreux auteurs caractérisent le bricolage en tant qu'il est sorti du monde du travail, oeuvre du domestique, production de l'inutile pour soi, exception d'une singularité dans l'ordre organisé de la série « il faut que matière travaillée et technique employée à titre de loisir soient éloignées du monde du travail [7] ». Le bricolage n'est pas pour autant instruit exclusivement par les loisirs, le bricolage n'est pas un loisir (P. Jarreau, 1985, p. 94). Ni travail, ni loisir mais « travail-à-côté » (Florence Weber, 1989).
Pour autant, du bricolage on en trouve beaucoup dans le monde du travail organisé, démenti d'un bricolage de la nécessité démontrant son utilité fonctionnelle qui peut l'inscrire dans le jeu des concurrences (voir A.-M. Guenin, 1998 - J. Guéneau, 2014, p. 33-37). Si le bricolage s'inscrit partout dans l'entre-deux des fonctionnalités programmées du monde industriel, bricoler n'est pas un métier. Le bricoleur s'en tient à la petite échelle et sa pratique - hors de toute régulation économique légiférée - restreint la diffusion de sa production aux proches, au cercle de ses connaissances. Il choisit de lier son activité à son appartenance à un groupe sinon socialement au moins spatialement, déterminé. Le bricoleur s'apparente au « [...] producteur primitif dont l'horizon est limité à un cercle de clients qui ne s'accroît que très graduellement ». Il se différencie du commerçant lequel est appelé en tant qu'il est étranger, extérieur au groupe fermé et lui est nécessaire. « Le besoin d'un commerçant ne se fait sentir que pour les marchandises produites à l'extérieur du groupe. »
Le bricoleur n'est donc pas vagabond, il reste arrimé à sa maison qui constitue son fonds, le contenant de ses inventaires. L'établi du bricoleur travailleur est au garage, dans l'appentis, les lieux réclamés pour l'installation. Le bricolage ne se fonde pas dans l'itinérance mais dans un travail assigné, c'est l'usine rapportée à la maison (la perruque), les modèles de ses catalogues dont il s'inspire pour les rapporter chez lui. « Le bricoleur dit qu'il s'installe ». Philosophe bricoleur « thématisant comme telle la recherche d'un fondement, le domaine du bourgeois médiéval, la maison dans la nature [...] maison, microcosme d'un projet social qui se fonde sur la propriété » (P. Jarreau, 1985, p. 25)

Le bricolage est affaire d'exception, d'adaptation, c'est une promesse, un pari même de beautés imprévisibles. Le bricolage est toujours la promesse d'un arrangement possible. Le bricoleur à travers cette promesse à laquelle il se lie, engage tout autant le destinataire de sa production. Cet engagement du destinataire, c'est son acceptation d'une absence de toute garantie d'un résultat. Pas de modélisation de l'entreprise à venir hormis celle d'une promesse. Le bricolage est de l'ordre du don dans le sens que lui accorde Marcel Mauss. Le bricoleur dans la nature de la promesse qui lui tient lieu de programme, promesse qui engage le destinataire de sa production, efface la mesure de son effort, la qualité et l'efficience de ses réalisations. La mesure de son travail est tout entière tenue dans l'étonnement et l'autorité du don. Il instruit « une économie générale fondée sur la dépense et sur la perte instituant aux côtés du rapport marchand, subsistant près de lui, une autre logique qui préside à la constitution des rapports intersubjectifs » (B. Karsenti). Il est significatif que face à l'audace de sa promesse, le bricoleur veuille quantifier, convaincre de la mesure de son effort. Il cherche alors à comparer cette promesse aux gradations entendues du travail rémunéré « quand j'ai fait quelque chose, je me dis t'as gagné 200 € », d'un autre on rapportera « chaque fois qu'il fait quelque chose, il dit on a gagné tant ! » (J. Guéneau, Journal d'enquête)

« [... ] La maison fait sien le bricoleur comme il fait sienne la maison » (P. Jarreau, 1 985)
C'est le modèle du lotissement qui est devenu le mode généralisé d'occupation du territoire du nord au sud de l'Europe, modèle dont les architectes sont ou se sont exclus.
Le pavillon de lotissement a conforté le réinvestissement symbolique d'individuation dans la maison, ses intérieurs, au détriment d'un espace public partagé. Le lotissement pavillonnaire jeu d'installation spéculatif à partir de modèles de catalogues, est un système d'objets lequel, s'il offre peu de continuités, autorise de nombreuses variations. Et c'est certainement l'invention de la maison pavillonnaire qui produit les formes modernes de bricolage. Home Depot devient leader outre atlantique de la grande distribution d'outillage et de bricolage conjointement au développement des zones pavillonnaires suburbaines emblématiques de l'American Way of Life. En France, Leroy-Merlin, libre service de bricolage et quincaillerie s'implante d'abord à partir des années 60 dans le nord de la France, accompagnant le développement de la société des loisirs et ses lotissements pavillonnaires qui naissent des 30 glorieuses années de la reconstruction. « Le bricolage aura fait de la maison le foyer, le centre ludique autour duquel prendront forme et pourront s'organiser toutes les autres activités de loisirs » (P. Jarreau, 1985, p. 105) L'investissement de l'intérieur de son pavillon par son propriétaire, agit comme résistance qui en appelle au magique des objets chargés de saturer le monde des intérieurs pour le rendre imperméable aux assauts du dehors. « [...] toute la série des objets produits du bricolage qui peuplent l'intérieur des maisons et des appartements et où se déploient des trésors d'imagination et de savoir-faire [...]. Ces objets qui parlent tout un langage, celui de l'abondance, de la fête, de la nature, témoignent d'un désir d'ailleurs. [...] ». (O. Schwartz, p. 343)

Le métier de l'architecte est tout entier légitimé par le rôle qui lui est assigné de garantir l'ouvrage et plus largement le cadre bâti qui fait notre environnement construit, aux normes qu'un gouvernement lui commande. Et ce gouvernement le défait de toute intention de vérité autre que celle de sa politique. Comment convaincre une administration qu'un permis de construire peut être attribué à un bricolage, un projet d'autoconstruction dont l'architecte ne « peut garantir la forme finale [10] » laquelle par définition se construit dans « un processus permanent d'évolution [11] » ? La place du bricoleur est tenue dans les limites des constructions, il les outrepasse peu sinon au risque de l'amende.

Le peintre du dimanche
Le peintre amateur, le peintre du dimanche (jour chômé) est peut-être pour l'artiste contemporain une représentation équivalente à la figure du bricoleur pour l'architecte. Amateurisme et bricole sont les termes utiles au discrédit et à la disqualification de ces pratiques des valeurs expressives et d'invention à partir desquelles se légitiment les métiers de la création.
Un des critères du discrédit dans lequel se reconnaissent les figures du peintre du dimanche et du bricoleur hormis le fait qu'ils se définissent par leur situation hors du travail, est qu'ils empruntent des modèles, déjà là, disponibles. Le peintre du dimanche refait, à sa façon, ce que l'histoire officielle de l'art a déjà consacré et inventorié dans ses catégories (figuration de paysages, marines, portraits, motifs, abstraction décorative...). Si des artistes contemporains comme Malcom Morley ou plus récemment Robert Millin 12 se sont intéressés à cette large iconographie du commun, leur travail est distribué dans les circuits d'expositions consacrés de l'art. La peinture du dimanche qui vise toujours la production d'un objet, image encadrée, dispose de ses propres circuits d'exposition qui destinent ses réalisations à notre intérieur, sa décoration.

Caractérisations bricoleuses
Des observations faites ici, on peut constituer un tableau qui servirait à positionner des caractères irréductibles de la figure du bricoleur à celles de l'architecte, de l'artiste et du designer, métiers de la création (P.-M. Menger). Symétriquement, on peut rapprocher des caractères communs à ces figures. Ces différences nous serviraient à dire « les rapports tendus » qu'entretient le bricoleur avec le pouvoir, « son opposition aux organisations » (P. Jarreau) alors même que, s'il se tient à côté du monde du travail, il n'existe pas sans lui qui lui en constitue ses stocks de matériels, d'outils et ses modèles.

Travail bricolé, travail critique
Si bricolage et peinture du dimanche participent de cette distinction des lieux du privé, du chez-soi et du public, du dehors, ces délimitations aujourd'hui tendent à se flouter. Les nouveaux espaces du numérique obligent à une redéfinition des limites claires d'un découpage fonctionnel de l'espace tel qu'il a été porté par l'âge moderne ; intérieur/extérieur, privé/public, fixe/mobile. Le sentiment du chez-soi, à soi se tient-il toujours dans les limites des pièces du logement ? Ou bien est-il tenu dans les cadres des écrans de nos téléphones et ordinateurs à travers lesquels s'échangent les intimités ?
La prise de conscience de la vulnérabilité de nos systèmes sociotechniques, les nouvelles exigences de démocratie participative, les développements accélérés des outils numériques (Web 2.0), ont suscité de nouvelles pratiques, relevées chez des designers d'abord puis chez quelques architectes à travers des recherches qui engagent l'autoconstruction, la transformation, le recyclage.
Se font jour des formes alternatives de productions de biens et de services dans les métiers de la création, qui veulent s'affranchir des échanges marchands et des modèles du travail divisé, qui cherchent « [...] une forme adéquate de coordination sans domination hiérarchique » (L.Althusser, p. 258) et s'emparent de la notion de bricolage (l'engouement pour le DIY entre autres exemples).
Deux des caractérisations du bricolage évoquées, l'échange non marchand, la promesse qui s'engage dans le don et la singularité irréductible de la figure du bricoleur mais défaite de la qualité d'auteur nous ferait parler de communisme bricoleur au sens entendu par Althusser : « Je soutenais l'idée que des îlots de communisme existent dès aujourd'hui dans les interstices de notre société, [...] là où ne règnent pas de rapports marchands. » (L. Althusser, p. 257)
Persiste néanmoins un hiatus dans cette volonté d'emprunter au bricolage des vertus qui le caractérisent mais qui se déterminent dans la sphère du privé, de la maison, du cercle restreint de connaissances, pour les transposer dans la sphère publique. « [...] la sphère domestique est sous-traitée au contrôle social et au pouvoir politique ; passé le seuil de leur foyer, les rapports entre personnes sont fondés sur l'entente, le consentement mutuel et la coopération volontaire, non sur des obligations formalisées par le droit » (A. Gorz, p. 263).
Se perdent ou s'abîment dans ce transfert d'une sphère à l'autre, les qualités revendiquées : L'artiste, le designer, l'architecte dans la définition de leur rôle, leur existence sociale, se déterminent dans la sphère publique sinon au risque pour l'artiste de n'être que du dimanche et au designer et l'architecte que bricoleurs.
Il semble difficile de se défaire de la notion d'auteur dans la caractérisation des métiers de la création (P.-M. Menger) à moins de bouleverser les règles et rapports d'échanges institués par le travail organisé.
Enfin, les règles du travail organisé semblent « maintenir la sphère culturelle - les métiers de la création - dans une autonomie distincte de l'expérience du travail et de la production » (T. Labica, p. 196). L'entreprise, l'atelier au sein desquels s'est fondé le bricoleur 13 en même temps qu'il s'en échappait, se sont « culturalisés ». Le salarié devenu travailleur volontaire, créateur de son emploi, pro-sumer et contributeur, est « soumis à des régimes d'individualisation sans précèdent » (T. Labica, p. 196), subissant autant qu'il participe à la désintégration des espaces du collectif de travail, de sa conscience collective.
La figure du bricoleur, aujourd'hui convoquée pour une redéfinition des rôles dans l'organisation du travail divisé ne risque-t-elle pas de servir de caution utile à transformer le travailleur en auteur inscrit dans le jeu des concurrences et défait des garanties collectives de solidarité et de critique sociale ?

1. Jérôme Guéneau, Habiter, bricoler l'architectutre comme métier à l'épreuve de la notion de bricolage , travail de thèse de doctorat mené au centre Norbert Elias (EHESS Marseille) sous la co-direction de Frédéric Joulian et Pierre Limonier
2. Le projet pour le pavillon belge de la 14 e Biennale internationale d'architecture de Venise qui s'est tenue du 7 juin au 23 novembre 2014, a été mené par l'équipe curatoriale constituée de Sébastien Martinez Barat, architecte, Bernard Dubois, architecte, Sarah Lévy, architecte, Judith Wielander, membre et conseillère de la Fondazione Pistoletto-Citadellarte, Maxime Delvaux, photographe et Laure Giletti, graphiste. Sébastien Martinez Barat, Benjamin Lafore, Sarah Lévy en collaboration avec Mathieu Berger, Intérieurs. Notes et Figures , Éditions de la Fédération Wallonie-Bruxelles 2014
3. François Hers, Sophie Ristelhuber, Intérieurs, Éditions des Archives d'Architecture Moderne - Bruxelles 1981. Catalogue de l'exposition présentée à Paris au centre George-Pompidou par le Centre de Création Industrielle.
4. Hortense Soichet, Ensembles, Les Editions Créaphis 2014
5. L'Agence Internationale est une oeuvre collaborative de Catherine Rannou, artiste et architecte, avec les architectes Constance Bodenez, Hélène Bodineau, Thomas Boisseau, Laurie Delacour, Guillaume Lenfant, Silvia Meneghini, Alice Pansard, Adélie Parat, Laure Perotto, Emmanuelle Renault et Anne Laure Sourdril. Le travail de l'Agence Internationale apparaît pour la première fois dans Le Grand Livre du Wood- Ecogénèse, Ultra Editions 2014. L'agence Internationale fait l'objet d'une exposition au FRAC Nord Pas de Calais, « L'agence internationale, Jean-Philippe et Richard » du 28 janvier au 9 avril 2017. www.fracnpdc.fr
6. Alain Bublex, Élie During, Le futur n'existe pas : rétrotypes, E ditions B42 2014
7. Véronique Moulinie, Des « oeuvriers » ordinaires - Lorsque l'ouvrier fait le/du beau..., Terrain [en ligne], 32|1999, mis en ligne le 21 juin 2007, 23 mai 2013, URL : http://terrain.revues.org/2825 ; DOI 10.4000/terrain.2825 p.6
8. Georg Simmel, « Digressions sur l'étranger » in Y. Grafmeyer et I. Joseph, L'École de Chicago, Champ Flammarion, 2004
9. Georg Simmel, op. Cit
10. Serge Renaudie, « Promouvoir et encadrer l'auto construction », D'Architectures 225 , Avril 2014, p. 68 11. Serge Renaudie, op. cit
12. voir Robert Milin, Palais de Tokyo, Éditions Joca Seria, 2004
13. Posant qu'à partir du moment où est apparue une division du travail qu'aura accéléré l'introduction des machines au sein des manufactures, une part cachée de la production est détournée, transformée et/ou réappropriée par le travailleur à son bénéfice ; c'est la perruque. Cette part peut néanmoins être retournée au bénéfice de la manufacture par le réinvestissement des améliorations constatées dans le cycle de production. Il y aurait part d'invention dans le détournement des modèles produits par la série qui sont pour l'une, réinvestie dans le travail organisé, pour l'autre réappropriée au seul bénéfice d'une culture populaire

Sommaire du numéro 6
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DROITS DE PROPRIÉTÉ INCOMPLETS ET COPIES COMME PROCESSUS PRODUCTIF
DU BRICOLAGE À L'ARTISANAT EXEMPLE DES GARAGES À SHANGHAÏ
HACKING (DU) QUOTIDIEN
EDITO JOURNAL À TITRE PROVISOIRE N°6 : MAKHNOVTCHINA /HACKING OUVRIER VS LE HÉRO VERNIEN EN SWEAT À CAPUCHE
HACKINGBOAT, TU FAIS QUOI LÀ, LE MANOUCHE SUR L'EAU ?
LE BRICOLAGE NECESSAIRE DE LA VILLE FORAINE
LES PROMESSES DU BRICOLEUR
BRICOLAGE ET MÉTIERS DE LA CRÉATION

MANIFESTE DU DESIGN LIBRE
PLATES
CAFÉ ARMÉNIEN UN PEU BRICOLÉ SUR POÊLE TATAR DANS UN GARAGE DE SHANGHAÏ, MOSCOU

Réalisation : Échelle inconnue

MAKHNOVTCHINA
MAKHNOVTCHINA
Makhnovtchina est un repérage actif des nouvelles mobilités urbaines et périurbaines à l'heure des grands projets de métropolisation. C'est un atelier itinérant de production participative d'images (fixes, vidéos, ou multimédia), de textes, de cartes, de journaux, « Work in progress ». Ce travail mené par des architecte, géographe, créateur informatique, sociologue et économiste vise à terme la proposition d'architecture ou d'équipements mobiles et légers. Ce travail vise, en outre, à explorer les futurs vides ou terrae incognitae que créent ou créeront les métropoles. Il propose une traversée du terrain d'accueil pour « gens du voyage » au marché forain en passant par les espaces des nouveaux nomadismes générés par la déstructuration des entreprises, notamment de réseau (EDF, GDF, France télécom...), ainsi que par les campings où, faute de moyens, on loge à l'année. Une traversée, pour entendre comment la ville du cadastre rejette, interdit, tolère, s'arrange, appelle ou fabrique la mobilité et le nomadisme. Ce projet de recherche et de création s'inscrit dans la continuité de certains travaux menés depuis 2001 : travail sur l'utopie avec des « gens du voyage » (2001-2003), participation à l'agora de l'habitat choisi (2009), réalisation d'installation vidéo avec les Rroms expulsés du bidonville de la Soie à Villeurbanne (2009) et encadrement du workshop européen « migrating art academy » avec des étudiants en art lituaniens, allemands et français (2010). Il tente d'explorer les notions de ville légère, mobile et non planifiée avec ceux et celles qui les vivent.