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LA GUERRE DES COURANTS

Numéro 7


« Je suis Dieu et je veux la paix universelle » phrase de Lucien Gaulard inventeur dépossédé du transformateur électrique, au concierge de L'Élysée où il se présenta le 1er février 1888 avant d'être interné pour démence à l'hôpital Sainte Anne où il mourut le 26 novembre.

La guerre des courants
Sans même le savoir, des bords de route où stationne le camion-logement de Jean-Charles au hangar d'une ferme squattée par travellers et maraîchers, nous déterrions la hache d'une guerre qu'on eut cru morte et enterrée : la guerre des courants.  Le territoire français, s'il n'est pas totalement hostile aux nomades et aux populations mobiles, est à leur égard à minima indifférent. Ces réseaux d'eau, d'assainissement et d'électricité notoirement les ignorent et leurs accès sont si difficiles que la vie nomade se voit contrainte, quand elle ne les pirate pas, de s'en passer et de construire son autonomie, énergétique en particulier. Ce qui fait d'elle un laboratoire énergétique pour ainsi dire pilote en ces temps d'économie verte.
Ainsi, ceux qui ne trouvent pas place sur les aires d'accueil et campings ou qui voudraient échapper à leurs règlements intérieurs contraignants quand ils ne sont pas simplement liberticides, se voient dans l'obligation de bricoler ou d'inventer leurs systèmes autonomes de fourniture et de stockage d'énergie : panneaux solaires, éoliennes, batteries, etc. Ces « plans » se refilent de bouches à oreilles ou par internet, le plus souvent loin des circuits commerciaux et de conseils classiques.
Mais ces systèmes aussi « D » soient-ils ne sont cependant pas a-historiques et empruntent à des sphères d'applications ou industrielles existantes : automobile, camping-carisme, bâtiment. Par là, ils se réinscrivent et composent avec une guerre des courants qui opposa au XIXe siècle courant alternatif et courant continu.
Quand il s'est agi pour nous, dans la pénombre d'un hangar de la Ferme des Bouillons squattée par les travellers, de concevoir le système électrique de notre ciné-truck Makhno-Van, nous nous sommes trouvés face à ce conflit comme au pied d'un mur incompréhensible écoutant les voix discordantes de travellers pro-alternatif et de Jean-Charles pro-courant continu.
Alors que les travellers installaient peu ou prou dans leur camion un système électrique de camping-car, ils transformaient le courant continu fourni par leurs panneaux solaires en courant alternatif pour pouvoir brancher les communes prises à deux broches de nos appareils électriques. Jean-Charles, lui, s'inscrivait dans l'histoire technique de l'électricité automobile et distribuait directement le courant continu dans son camion par une série d'allume-cigares. Il préférait, au cri de « je l'ai le courant alternatif ! Mais j'm'en sers pas ! », modifier directement ses appareils, shuntant leurs transformateurs intégrés pour les faire fonctionner en 12V continu.
À qui, comme nous, n'a jamais désossé un téléviseur ou un ordinateur, ceci semblait une bien obscure guerre des prises, allume-cigare contre prise deux broches. Or se rejouait là, devant nous la guerre de Nikola Tesla contre Thomas Edison. Au début des années 1890, cette guerre était à ce point violente que Thomas Edison alla jusqu'à financer Harold P. Brown, l'inventeur de la chaise électrique, afin de démontrer la dangerosité du courant alternatif. « Si le courant alternatif finit par l'emporter, il n'apporta aucune notoriété à Tesla. Contrairement à Edison, il mourut en janvier 1943, seul, sans le sou, et couvert de dettes, laissant derrière lui 300 brevets... »
Il ne s'agit cependant pas là d'un combat d'arrière-garde depuis longtemps réglé par des ingénieurs et que des bricoleurs viendraient déterrer. La question urbaine n'est jamais loin : alors que les métropoles, drapées de leur écologie de façade, continuent de dérouler des millions de kilomètres de câbles de cuivre - gaspillage qui fut une raison du désintérêt d'Edison pour le courant alternatif -, ceux qui fuient ou se trouvent expulsés du mirage métropolitain réinventent à leur hauteur les systèmes les plus adaptés au mode de vie qu'ils expérimentent. Ainsi, si le système de courant alternatif de Tesla, plus adapté que celui d'Edison, à l'expansion et l'équipement urbain et industriel des villes du XIXe siècle, il ne l'est sans doute pas à un monde qui prend conscience de la limitation de ses ressources, de sa finitude en somme. Ce monde fini du bricoleur que Levi Strauss oppose au monde infini de l'ingénieur. Une certaine mécanique désurbaniste sans doute nécessaire, nous renvoie peut-être au temps mythique d'un monde donné dont il convient de rebricoler l'agencement pour simplement y survivre.
Dans un article disponible en ligne dont nous livrons ici une traduction partielle, Kris De Decker ré-envisage la question de l'application d'un système électrique en courant continu aux bâtiments. Il pose un retour, une déconstruction et reconstruction de la question, dans contexte de « crise environnementale. »

Electricité lente/stagnante: le retour du courant continu ?
De nos jours, dans les systèmes photovoltaïques, le courant continu provenant de panneaux solaires est converti en courant alternatif, afin de le rendre compatible avec une distribution électrique domestique. Or, beaucoup d'appareils domestiques modernes fonctionnent en courant continu. Le courant alternatif est alors transformé en courant continu grâce à un adaptateur intégré à chaque appareil.
Cette double conversion, qui génère 30% de perte d'énergie, peut être évitée si la distribution électrique du bâtiment est transformée en courant continu. Cependant, certaines conditions importantes sont nécessaires pour atteindre cet objectif.
L'électricité peut être produite et distribuée en utilisant du courant alternatif ou continu. À la fin du XIXe siècle, le courant alternatif et le courant continu étaient en compétition pour devenir le système standard de distribution électrique, une période de l'histoire connue sous le nom de « la guerre des courants ».  
C'est le courant alternatif qui emporta la victoire, principalement grâce à sa plus grande facilité à être transporté sur de longues distances. La puissance électrique (exprimée en Watts) équivaut à la tension électrique (en Volts) multipliée par l'intensité du courant (en Ampères). Par conséquent, on peut produire une puissance électrique équivalente tant avec une tension basse associée à une intensité forte, qu'avec une tension haute associée à une intensité basse. Cependant, la perte de puissance causée par la résistance électrique est elle liée à la tension du courant : elle est proportionnelle au carré de sa valeur. C'est pour cela que pour acheminer le courant sur de longues distances on privilégie des hautes tensions pour pallier les pertes électriques, dites « pertes en ligne ».  
L'invention du transformateur de courant alternatif à la fin des années 1800 a permis d'augmenter facilement la tension afin de transporter la puissance sur de longues distances, puis de la redescendre pour une utilisation locale. D'autre part, l'électricité en courant continu n'a pu être convertie efficacement en haute tension avant les années 1960. Par conséquent, il était impossible de transmettre efficacement la puissance sur de longues distances (> 1 à 2 km).
Un réseau complet en courant continu aurait nécessité l'installation de petites centrales électriques dans chaque quartier. Ce qui était à l'époque loin d'être idéal car l'efficacité des moteurs à vapeur qui entraînaient les dynamos des centrales était proportionnelle à leur taille : plus le moteur à vapeur est grand, plus il devient efficace. De plus, ces moteurs à vapeur étaient bruyants et polluants.
Un siècle plus tard, le courant alternatif constitue encore la base de notre infrastructure électrique : toute la distribution électrique des immeubles repose sur le courant alternatif en 110V ou 220V. Les systèmes électriques en courant continu basse tension ont eux survécu dans les voitures, camions, mobiles-homes, caravanes, bateaux ainsi que dans les bureaux de télécommunication, les bases scientifiques et les abris d'urgence. Dans tous ces exemples, les appareils sont alimentés par des batteries qui fournissent du 12V, du 24V ou du 48V en courant continu.

Regain d'intérêt pour le courant continu  
Il y a un regain d'intérêt pour la distribution en courant continu. Tout d'abord, il est possible de décentraliser la production de courant, la plus importante étant celle par panneaux solaires photovoltaïques, non polluants et dont l'efficacité est indépendante de leur taille. Les panneaux solaires pouvant être situés là où on a besoin d'énergie, la transmission du courant sur une longue distance n'est donc plus nécessaire. De plus, les panneaux solaires produisent naturellement du courant continu, tout comme les batteries chimiques qui sont les technologies de stockage les plus courantes pour les systèmes photovoltaïques.  
Les panneaux solaires photovoltaïques produisent le courant continu nécessaire à certains appareils électriques les plus usuels.  
Cela est vrai pour les ordinateurs et autres gadgets électroniques ainsi que pour les ampoules LEDs, les télévisions à écran plat, l'équipement stéréo, les fours micro-ondes et un grand nombre d'appareils utilisant des moteurs en courant continu avec des vitesses d'opération variables (ventilateurs, pompes, compresseurs et systèmes de traction). Dans les 20 prochaines années, environ 50% de l'équipement des foyers consommera du courant continu. Dans un bâtiment qui produit de l'électricité à partir de panneaux solaires mais dispose dans ses locaux d'un système électrique alimenté en courant alternatif, une double conversion d'énergie est nécessaire . D'abord, le courant continu provenant des panneaux solaires est converti en courant alternatif à l'aide d'un inverseur. Ensuite, le courant alternatif est transformé en courant continu grâce aux adaptateurs intégrés aux appareils fonctionnant en courant continu. Ces conversions d'énergies impliquent des pertes de courant qui pourraient être évitées si un bâtiment pourvu en panneaux solaires était équipé d'une distribution interne en courant continu.  

Plus de courant solaire pour moins d'argent  
Les coûts d'utilisation et d'installation de panneaux solaires PV étant faibles, une plus grande efficacité énergétique est obtenue à des coûts peu importants, puisque peu de panneaux solaires sont nécessaires pour générer une grande quantité d'électricité donnée. De plus, il n'y a plus besoin d'installer d'inverseur, appareil onéreux qui doit être remplacé au moins une fois pendant la durée de vie d'une installation.  
Une mesure équivalente pourrait être appliquée aux appareils électriques eux-mêmes. Dans un bâtiment équipé d'une distribution en courant continu, les appareils électriques fonctionnant eux-mêmes en courant continu peuvent se passer des composants jusque-là nécessaires à la conversion du courant alternatif en courant continu. Cela les rendrait plus simples, moins chers, plus fiables et exigerait moins d'énergie pour les produire. Les adaptateurs courant alternatif / courant continu (qui peuvent être intégrés dans un boîtier d'alimentation externe ou au sein de l'appareil lui-même) sont souvent les composants des appareils ayant une durée de vie limitée et une taille relativement conséquente.
  Par exemple, pour une lumière LED, environ 40% de la plaque du circuit imprimé est occupée par les composants nécessaires à la conversion de courant alternatif en courant continu. Les adaptateurs courant alternatif / courant continu ont aussi d'autres inconvénients. Suite à une stratégie commerciale douteuse, ils sont généralement spécifiques à chaque appareil, ce qui entraîne un gaspillage de ressources, d'argent et d'espace. De plus, un adaptateur consomme de l'énergie même lorsque l'appareil ne fonctionne pas ou qu'il n'est pas connecté.

La distribution de courant continu rendrait les appareils plus simples, moins chers, plus fiables et moins énergivores.
Dernier avantage, et non le moindre, les réseaux à basse tension en courant continu (supérieur à 24V) ne sont sensibles ni aux chocs ni aux accidents, ce qui permet aux électriciens d'installer de simples câbles sans pratiquer des saignées dans les murs ou d'installer des boîtes de jonctions métalliques et sans protection contre les contacts directs. Un système qui réduit les coûts d'une part et qui permet aussi d'imaginer le développement des installations solaires DIY.

Combien d'énergie peut être économisée ?
Soulignons, cependant, que l'avantage et l'efficacité de l'énergie du courant continu d'un réseau n'est pas toujours significative. Les économies d'énergie peuvent être importantes mais elles peuvent être aussi très minimes voire même négatives. Le choix du type de courant le plus approprié dépend principalement de cinq facteurs : les pertes spécifiques liées à la transformation par adaptateurs courant alternatif / courant continu de tous les appareils, le temps de charge (l'énergie consommée), la disponibilité du stockage électrique, la longueur des câbles de distribution et la puissance des appareils électriques utilisés.
La perte totale d'énergie des adaptateurs peut être très différente selon le type d'appareils utilisés dans un bâtiment et la façon dont ils sont utilisés. Tout comme les inverseurs, les adaptateurs gaspillent relativement plus d'énergie quand peu de courant est utilisé, par exemple en stand-by ou en mode bas courant.
Les pertes de transformation les plus élevées des adaptateurs concernent les lecteurs de DVD, magnétoscopes, chaines stéréos, ordinateurs personnels et équipement associé, l'électronique rechargeable (20%), l'éclairage (18%) et les téléviseurs (15%). Les pertes d'énergie sont moindres (10-13%) pour les appareils plus courants comme les ventilateurs, les machines à café, les lave-vaisselle, les grille-pain, les chauffages, les fours micro-ondes, réfrigérateurs et autres.
L'éclairage et les ordinateurs constituent généralement une part importante de la consommation électrique totale des bureaux, magasins et bâtiments institutionnels. Les foyers domestiques possèdent quant à eux un appareillage plus varié y compris des appareils à faibles pertes de courant alternatif et continu. Par conséquent, un système en courant continu génère plus d'économies d'énergie dans les bureaux que dans les immeubles résidentiels. Le plus grand intérêt se trouve dans les centres de données où les ordinateurs sont la principale charge. Certains centres de données se sont déjà dotés de systèmes en courant continu, même s'ils ne sont pas fournis par l'énergie solaire. Parce qu'un adaptateur est plus efficace pour une multitude de petits adaptateurs, transformer le courant alternatif en courant continu à un niveau local que des serveurs individuels, peut générer des économies d'énergie de 5 à 30%.

L'importance d'accumuler de l'énergie
Si nous admettons une perte d'énergie de 10% dans l'inverseur et une perte moyenne de 15% pour tous les adaptateurs, on pourrait s'attendre à des économies d'énergie d'environ 25% une fois la distribution de courant continu dans les bâtiments transformée en courant PV solaire. Cependant, une économie si importante n'est pas garantie. Pour commencer, la plupart des bâtiments sont connectés au réseau. Ils n'accumulent pas l'énergie sur une batterie mais dépendent d'un réseau pour gérer les surplus et pénuries.
Cela signifie que l'excédent de courant d'origine voltaïque va être transformé de courant continu en courant alternatif et envoyé au réseau électrique, alors que le courant pris du réseau en cas de pénurie devra être converti d'alternatif à continu afin d'être compatible avec le système de distribution électrique du bâtiment.
Les avantages et l'efficacité d'un système en courant continu sont donc généralement plus importants dans des immeubles commerciaux où la plupart de la consommation électrique est en adéquation avec la production du courant continu provenant du système solaire : c'est-à-dire de jour.
Dans les immeubles résidentiels, la consommation électrique est souvent élevée en matinée et en soirée, alors que peu ou pas de courant d'origine solaire est disponible à ces moments-là. Il n'y a de ce fait qu'un avantage restreint à avoir un système en courant continu dans un immeuble résidentiel, étant donné que la plus grande partie de l'électricité consommée proviendra d'un circuit de courant alternatif converti ou utilisé tel quel.
En fin d'article, disponible en ligne (1) l'auteur revient sur l'écueil, pierre d'angle de l'affrontement Tesla/Edison : la distance. Ainsi, pour optimiser un système électrique domestique en courant continu convient-il de limiter la longueur des câbles qui génèrent d'impressionnantes pertes d'énergie. En somme, il faut reconfigurer l'habitat en rapprochant les pièces énergivores de la source photovoltaïque (sous le toit) ou en multipliant les systèmes complets (panneaux solaires, batteries etc.) pour que chacun alimente une ou deux pièces. En ce sens, le camion aménagé, le container, le mobil-home ou la caravane s'approchent de la forme habitable la plus adaptée à ce système d'économie d'énergie. Et l'auteur de conclure, non sans un certain angélisme décroissant, qu'il conviendrait peut-être de revenir à un mode d'équipement proche de celui des ménages bourgeois de la fin du XIXe siècle, réservant l'usage de l'électricité à l'éclairage et autres appareils à faible consommation et opter pour des alternatives collectives ou manuelles pour le reste (linge, cuisson, vaisselle) contraintes déjà intégrées par les habitants de camions et caravanes par exemple.
Ainsi dans cette équation d'un monde à la quantité d'énergie finie, les habitants de logements mobiles deviennent exemplaires. À tel point que l'on pourrait interroger le fait qu'ils ne bénéficient pas des subsides générés par la taxe carbone par exemple.
« Je suis Dieu et je veux la paix universelle » phrase de Lucien Gaulard inventeur dépossédé du transformateur électrique, au concierge de L'Élysée où il se présenta le 1er février 1888 avant d'être interné pour démence à l'hôpital Sainte Anne où il mourut le 26 novembre.

La guerre des courants
Sans même le savoir, des bords de route où stationne le camion-logement de Jean-Charles au hangar d'une ferme squattée par travellers et maraîchers, nous déterrions la hache d'une guerre qu'on eut cru morte et enterrée : la guerre des courants.  Le territoire français, s'il n'est pas totalement hostile aux nomades et aux populations mobiles, est à leur égard à minima indifférent. Ces réseaux d'eau, d'assainissement et d'électricité notoirement les ignorent et leurs accès sont si difficiles que la vie nomade se voit contrainte, quand elle ne les pirate pas, de s'en passer et de construire son autonomie, énergétique en particulier. Ce qui fait d'elle un laboratoire énergétique pour ainsi dire pilote en ces temps d'économie verte.
Ainsi, ceux qui ne trouvent pas place sur les aires d'accueil et campings ou qui voudraient échapper à leurs règlements intérieurs contraignants quand ils ne sont pas simplement liberticides, se voient dans l'obligation de bricoler ou d'inventer leurs systèmes autonomes de fourniture et de stockage d'énergie : panneaux solaires, éoliennes, batteries, etc. Ces « plans » se refilent de bouches à oreilles ou par internet, le plus souvent loin des circuits commerciaux et de conseils classiques.
Mais ces systèmes aussi « D » soient-ils ne sont cependant pas a-historiques et empruntent à des sphères d'applications ou industrielles existantes : automobile, camping-carisme, bâtiment. Par là, ils se réinscrivent et composent avec une guerre des courants qui opposa au XIXe siècle courant alternatif et courant continu.
Quand il s'est agi pour nous, dans la pénombre d'un hangar de la Ferme des Bouillons squattée par les travellers, de concevoir le système électrique de notre ciné-truck Makhno-Van, nous nous sommes trouvés face à ce conflit comme au pied d'un mur incompréhensible écoutant les voix discordantes de travellers pro-alternatif et de Jean-Charles pro-courant continu.
Alors que les travellers installaient peu ou prou dans leur camion un système électrique de camping-car, ils transformaient le courant continu fourni par leurs panneaux solaires en courant alternatif pour pouvoir brancher les communes prises à deux broches de nos appareils électriques. Jean-Charles, lui, s'inscrivait dans l'histoire technique de l'électricité automobile et distribuait directement le courant continu dans son camion par une série d'allume-cigares. Il préférait, au cri de « je l'ai le courant alternatif ! Mais j'm'en sers pas ! », modifier directement ses appareils, shuntant leurs transformateurs intégrés pour les faire fonctionner en 12V continu.
À qui, comme nous, n'a jamais désossé un téléviseur ou un ordinateur, ceci semblait une bien obscure guerre des prises, allume-cigare contre prise deux broches. Or se rejouait là, devant nous la guerre de Nikola Tesla contre Thomas Edison. Au début des années 1890, cette guerre était à ce point violente que Thomas Edison alla jusqu'à financer Harold P. Brown, l'inventeur de la chaise électrique, afin de démontrer la dangerosité du courant alternatif. « Si le courant alternatif finit par l'emporter, il n'apporta aucune notoriété à Tesla. Contrairement à Edison, il mourut en janvier 1943, seul, sans le sou, et couvert de dettes, laissant derrière lui 300 brevets... »
Il ne s'agit cependant pas là d'un combat d'arrière-garde depuis longtemps réglé par des ingénieurs et que des bricoleurs viendraient déterrer. La question urbaine n'est jamais loin : alors que les métropoles, drapées de leur écologie de façade, continuent de dérouler des millions de kilomètres de câbles de cuivre - gaspillage qui fut une raison du désintérêt d'Edison pour le courant alternatif -, ceux qui fuient ou se trouvent expulsés du mirage métropolitain réinventent à leur hauteur les systèmes les plus adaptés au mode de vie qu'ils expérimentent. Ainsi, si le système de courant alternatif de Tesla, plus adapté que celui d'Edison, à l'expansion et l'équipement urbain et industriel des villes du XIXe siècle, il ne l'est sans doute pas à un monde qui prend conscience de la limitation de ses ressources, de sa finitude en somme. Ce monde fini du bricoleur que Levi Strauss oppose au monde infini de l'ingénieur. Une certaine mécanique désurbaniste sans doute nécessaire, nous renvoie peut-être au temps mythique d'un monde donné dont il convient de rebricoler l'agencement pour simplement y survivre.
Dans un article disponible en ligne dont nous livrons ici une traduction partielle, Kris De Decker ré-envisage la question de l'application d'un système électrique en courant continu aux bâtiments. Il pose un retour, une déconstruction et reconstruction de la question, dans contexte de « crise environnementale. »

Electricité lente/stagnante: le retour du courant continu ?
De nos jours, dans les systèmes photovoltaïques, le courant continu provenant de panneaux solaires est converti en courant alternatif, afin de le rendre compatible avec une distribution électrique domestique. Or, beaucoup d'appareils domestiques modernes fonctionnent en courant continu. Le courant alternatif est alors transformé en courant continu grâce à un adaptateur intégré à chaque appareil.
Cette double conversion, qui génère 30% de perte d'énergie, peut être évitée si la distribution électrique du bâtiment est transformée en courant continu. Cependant, certaines conditions importantes sont nécessaires pour atteindre cet objectif.
L'électricité peut être produite et distribuée en utilisant du courant alternatif ou continu. À la fin du XIXe siècle, le courant alternatif et le courant continu étaient en compétition pour devenir le système standard de distribution électrique, une période de l'histoire connue sous le nom de « la guerre des courants ».  
C'est le courant alternatif qui emporta la victoire, principalement grâce à sa plus grande facilité à être transporté sur de longues distances. La puissance électrique (exprimée en Watts) équivaut à la tension électrique (en Volts) multipliée par l'intensité du courant (en Ampères). Par conséquent, on peut produire une puissance électrique équivalente tant avec une tension basse associée à une intensité forte, qu'avec une tension haute associée à une intensité basse. Cependant, la perte de puissance causée par la résistance électrique est elle liée à la tension du courant : elle est proportionnelle au carré de sa valeur. C'est pour cela que pour acheminer le courant sur de longues distances on privilégie des hautes tensions pour pallier les pertes électriques, dites « pertes en ligne ».  
L'invention du transformateur de courant alternatif à la fin des années 1800 a permis d'augmenter facilement la tension afin de transporter la puissance sur de longues distances, puis de la redescendre pour une utilisation locale. D'autre part, l'électricité en courant continu n'a pu être convertie efficacement en haute tension avant les années 1960. Par conséquent, il était impossible de transmettre efficacement la puissance sur de longues distances (> 1 à 2 km).
Un réseau complet en courant continu aurait nécessité l'installation de petites centrales électriques dans chaque quartier. Ce qui était à l'époque loin d'être idéal car l'efficacité des moteurs à vapeur qui entraînaient les dynamos des centrales était proportionnelle à leur taille : plus le moteur à vapeur est grand, plus il devient efficace. De plus, ces moteurs à vapeur étaient bruyants et polluants.
Un siècle plus tard, le courant alternatif constitue encore la base de notre infrastructure électrique : toute la distribution électrique des immeubles repose sur le courant alternatif en 110V ou 220V. Les systèmes électriques en courant continu basse tension ont eux survécu dans les voitures, camions, mobiles-homes, caravanes, bateaux ainsi que dans les bureaux de télécommunication, les bases scientifiques et les abris d'urgence. Dans tous ces exemples, les appareils sont alimentés par des batteries qui fournissent du 12V, du 24V ou du 48V en courant continu.

regain d'intérêt pour le courant continu
  Il y a un regain d'intérêt pour la distribution en courant continu. Tout d'abord, il est possible de décentraliser la production de courant, la plus importante étant celle par panneaux solaires photovoltaïques, non polluants et dont l'efficacité est indépendante de leur taille. Les panneaux solaires pouvant être situés là où on a besoin d'énergie, la transmission du courant sur une longue distance n'est donc plus nécessaire. De plus, les panneaux solaires produisent naturellement du courant continu, tout comme les batteries chimiques qui sont les technologies de stockage les plus courantes pour les systèmes photovoltaïques.

Les panneaux solaires photovoltaïques produisent le courant continu nécessaire à certains appareils électriques les plus usuels.
  Cela est vrai pour les ordinateurs et autres gadgets électroniques ainsi que pour les ampoules LEDs, les télévisions à écran plat, l'équipement stéréo, les fours micro-ondes et un grand nombre d'appareils utilisant des moteurs en courant continu avec des vitesses d'opération variables (ventilateurs, pompes, compresseurs et systèmes de traction). Dans les 20 prochaines années, environ 50% de l'équipement des foyers consommera du courant continu. Dans un bâtiment qui produit de l'électricité à partir de panneaux solaires mais dispose dans ses locaux d'un système électrique alimenté en courant alternatif, une double conversion d'énergie est nécessaire . D'abord, le courant continu provenant des panneaux solaires est converti en courant alternatif à l'aide d'un inverseur. Ensuite, le courant alternatif est transformé en courant continu grâce aux adaptateurs intégrés aux appareils fonctionnant en courant continu. Ces conversions d'énergies impliquent des pertes de courant qui pourraient être évitées si un bâtiment pourvu en panneaux solaires était équipé d'une distribution interne en courant continu.  

Plus de courant solaire pour moins d'argent  
Les coûts d'utilisation et d'installation de panneaux solaires PV étant faibles, une plus grande efficacité énergétique est obtenue à des coûts peu importants, puisque peu de panneaux solaires sont nécessaires pour générer une grande quantité d'électricité donnée. De plus, il n'y a plus besoin d'installer d'inverseur, appareil onéreux qui doit être remplacé au moins une fois pendant la durée de vie d'une installation.
  Une mesure équivalente pourrait être appliquée aux appareils électriques eux-mêmes. Dans un bâtiment équipé d'une distribution en courant continu, les appareils électriques fonctionnant eux-mêmes en courant continu peuvent se passer des composants jusque-là nécessaires à la conversion du courant alternatif en courant continu. Cela les rendrait plus simples, moins chers, plus fiables et exigerait moins d'énergie pour les produire. Les adaptateurs courant alternatif / courant continu (qui peuvent être intégrés dans un boîtier d'alimentation externe ou au sein de l'appareil lui-même) sont souvent les composants des appareils ayant une durée de vie limitée et une taille relativement conséquente.
  Par exemple, pour une lumière LED, environ 40% de la plaque du circuit imprimé est occupée par les composants nécessaires à la conversion de courant alternatif en courant continu. Les adaptateurs courant alternatif / courant continu ont aussi d'autres inconvénients. Suite à une stratégie commerciale douteuse, ils sont généralement spécifiques à chaque appareil, ce qui entraîne un gaspillage de ressources, d'argent et d'espace. De plus, un adaptateur consomme de l'énergie même lorsque l'appareil ne fonctionne pas ou qu'il n'est pas connecté.

La distribution de courant continu rendrait les appareils plus simples, moins chers, plus fiables et moins énergivores.
Dernier avantage, et non le moindre, les réseaux à basse tension en courant continu (supérieur à 24V) ne sont sensibles ni aux chocs ni aux accidents, ce qui permet aux électriciens d'installer de simples câbles sans pratiquer des saignées dans les murs ou d'installer des boîtes de jonctions métalliques et sans protection contre les contacts directs. Un système qui réduit les coûts d'une part et qui permet aussi d'imaginer le développement des installations solaires DIY.

Combien d'énergie peut être économisée ?
Soulignons, cependant, que l'avantage et l'efficacité de l'énergie du courant continu d'un réseau n'est pas toujours significative. Les économies d'énergie peuvent être importantes mais elles peuvent être aussi très minimes voire même négatives. Le choix du type de courant le plus approprié dépend principalement de cinq facteurs : les pertes spécifiques liées à la transformation par adaptateurs courant alternatif / courant continu de tous les appareils, le temps de charge (l'énergie consommée), la disponibilité du stockage électrique, la longueur des câbles de distribution et la puissance des appareils électriques utilisés.
La perte totale d'énergie des adaptateurs peut être très différente selon le type d'appareils utilisés dans un bâtiment et la façon dont ils sont utilisés. Tout comme les inverseurs, les adaptateurs gaspillent relativement plus d'énergie quand peu de courant est utilisé, par exemple en stand-by ou en mode bas courant.
Les pertes de transformation les plus élevées des adaptateurs concernent les lecteurs de DVD, magnétoscopes, chaines stéréos, ordinateurs personnels et équipement associé, l'électronique rechargeable (20%), l'éclairage (18%) et les téléviseurs (15%). Les pertes d'énergie sont moindres (10-13%) pour les appareils plus courants comme les ventilateurs, les machines à café, les lave-vaisselle, les grille-pain, les chauffages, les fours micro-ondes, réfrigérateurs et autres.
L'éclairage et les ordinateurs constituent généralement une part importante de la consommation électrique totale des bureaux, magasins et bâtiments institutionnels. Les foyers domestiques possèdent quant à eux un appareillage plus varié y compris des appareils à faibles pertes de courant alternatif et continu. Par conséquent, un système en courant continu génère plus d'économies d'énergie dans les bureaux que dans les immeubles résidentiels. Le plus grand intérêt se trouve dans les centres de données où les ordinateurs sont la principale charge. Certains centres de données se sont déjà dotés de systèmes en courant continu, même s'ils ne sont pas fournis par l'énergie solaire. Parce qu'un adaptateur est plus efficace pour une multitude de petits adaptateurs, transformer le courant alternatif en courant continu à un niveau local que des serveurs individuels, peut générer des économies d'énergie de 5 à 30%.

L'importance d'accumuler de l'énergie<
Si nous admettons une perte d'énergie de 10% dans l'inverseur et une perte moyenne de 15% pour tous les adaptateurs, on pourrait s'attendre à des économies d'énergie d'environ 25% une fois la distribution de courant continu dans les bâtiments transformée en courant PV solaire. Cependant, une économie si importante n'est pas garantie. Pour commencer, la plupart des bâtiments sont connectés au réseau. Ils n'accumulent pas l'énergie sur une batterie mais dépendent d'un réseau pour gérer les surplus et pénuries.
Cela signifie que l'excédent de courant d'origine voltaïque va être transformé de courant continu en courant alternatif et envoyé au réseau électrique, alors que le courant pris du réseau en cas de pénurie devra être converti d'alternatif à continu afin d'être compatible avec le système de distribution électrique du bâtiment.
Les avantages et l'efficacité d'un système en courant continu sont donc généralement plus importants dans des immeubles commerciaux où la plupart de la consommation électrique est en adéquation avec la production du courant continu provenant du système solaire : c'est-à-dire de jour.
Dans les immeubles résidentiels, la consommation électrique est souvent élevée en matinée et en soirée, alors que peu ou pas de courant d'origine solaire est disponible à ces moments-là. Il n'y a de ce fait qu'un avantage restreint à avoir un système en courant continu dans un immeuble résidentiel, étant donné que la plus grande partie de l'électricité consommée proviendra d'un circuit de courant alternatif converti ou utilisé tel quel.
En fin d'article, disponible en ligne (1) l'auteur revient sur l'écueil, pierre d'angle de l'affrontement Tesla/Edison : la distance. Ainsi, pour optimiser un système électrique domestique en courant continu convient-il de limiter la longueur des câbles qui génèrent d'impressionnantes pertes d'énergie. En somme, il faut reconfigurer l'habitat en rapprochant les pièces énergivores de la source photovoltaïque (sous le toit) ou en multipliant les systèmes complets (panneaux solaires, batteries etc.) pour que chacun alimente une ou deux pièces. En ce sens, le camion aménagé, le container, le mobil-home ou la caravane s'approchent de la forme habitable la plus adaptée à ce système d'économie d'énergie. Et l'auteur de conclure, non sans un certain angélisme décroissant, qu'il conviendrait peut-être de revenir à un mode d'équipement proche de celui des ménages bourgeois de la fin du XIXe siècle, réservant l'usage de l'électricité à l'éclairage et autres appareils à faible consommation et opter pour des alternatives collectives ou manuelles pour le reste (linge, cuisson, vaisselle) contraintes déjà intégrées par les habitants de camions et caravanes par exemple.
Ainsi dans cette équation d'un monde à la quantité d'énergie finie, les habitants de logements mobiles deviennent exemplaires. À tel point que l'on pourrait interroger le fait qu'ils ne bénéficient pas des subsides générés par la taxe carbone par exemple.
Slow Electricity: The Return of DC Power ? de Kris De Decker
http://www.lowtechmagazine.com/2016/04/slow-electricity-the-return-of-low-voltage-dc-power.html

Sommaire du numéro 7
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LA GUERRE DES COURANTS
VREMYANKAS, LOGEMENTS PROVISOIRES ÉTERNELS
MIGRANTS « LO-FI » UN PHÉNOMÈNE DE LA SPHÈRE PUBLIQUE : CAS DE TRAVAILLEURS MIGRANTS D'ASIE CENTRALE
INGÉNIEUR ET BRICOLEUR OU L'OEUF ET LA POULE POST-APOCALYPTIQUES
LA MARCHE DU CHEVAL JÉRÔME GUENEAU
NOIRE LA RUBRIQUE
EDITO/JOURNAL À TITRE PROVISOIRE N°7 : INGÉNIERIE ENSAUVAGÉE JOURNAL FRANCO-RUSSE

Réalisation : Échelle inconnue

MAKHNOVTCHINA
MAKHNOVTCHINA
Makhnovtchina est un repérage actif des nouvelles mobilités urbaines et périurbaines à l'heure des grands projets de métropolisation. C'est un atelier itinérant de production participative d'images (fixes, vidéos, ou multimédia), de textes, de cartes, de journaux, « Work in progress ». Ce travail mené par des architecte, géographe, créateur informatique, sociologue et économiste vise à terme la proposition d'architecture ou d'équipements mobiles et légers. Ce travail vise, en outre, à explorer les futurs vides ou terrae incognitae que créent ou créeront les métropoles. Il propose une traversée du terrain d'accueil pour « gens du voyage » au marché forain en passant par les espaces des nouveaux nomadismes générés par la déstructuration des entreprises, notamment de réseau (EDF, GDF, France télécom...), ainsi que par les campings où, faute de moyens, on loge à l'année. Une traversée, pour entendre comment la ville du cadastre rejette, interdit, tolère, s'arrange, appelle ou fabrique la mobilité et le nomadisme. Ce projet de recherche et de création s'inscrit dans la continuité de certains travaux menés depuis 2001 : travail sur l'utopie avec des « gens du voyage » (2001-2003), participation à l'agora de l'habitat choisi (2009), réalisation d'installation vidéo avec les Rroms expulsés du bidonville de la Soie à Villeurbanne (2009) et encadrement du workshop européen « migrating art academy » avec des étudiants en art lituaniens, allemands et français (2010). Il tente d'explorer les notions de ville légère, mobile et non planifiée avec ceux et celles qui les vivent.