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LA MARCHE DU CHEVAL JÉRÔME GUENEAU

Numéro 7


Dystopie sur l'avenir possible de notre environnement bâti tel que le préfigure les outils de modélisation industriels à l'image du BIM, outils aujourd'hui déjà pilotés par des systèmes experts (c'est-à-dire des chaines logarithmiques auto-apprenantes). Cette dystopie s'appuie sur les performances actuelles de ces outils et les transformations dans les organisations du travail qu'elles induisent, transferts des responsabilités et des risques, automatisation accrue, transformations partout observables dans la presse généraliste ou spécialiste.Certains disent : en Russie, les gens meurent dans la rue, en Russie, on mange ou on peut manger, de la viande humaine.... D'autres disent : en Russie, les universités fonctionnent, en Russie, les théâtres sont pleins. Vous ferez votre choix : Tout est vrai. En Russie, il y a l'un et l'autre. (....) En 1917, je voulais le bonheur de la Russie, en 1918, je voulais le bonheur du monde entier et rien de moins. Aujourd'hui je ne veux qu'une chose : retourner, moi, en Russie. Ici finit la marche du cheval. Le cheval tourne la tête et rit. Victor Chklovski et B.M. Eichenbaum

1.
Et il arrivera parfois ce qui arrive à présent. Paul Gerfaut est assis dans son lit. Il est en train de lire dans une vieille édition papier, les chroniques d'un auteur aujourd'hui oublié. Paul Gerfaut est vieux mais une majorité comme lui, habitants de cette résidence périphérique classée en catégorie C, sont vieux. Paul Gerfaut est en train de lire quand le bip de son bracelet connecté le soustrait à sa lecture des chroniques de cet auteur lusophone qui rend Gerfaut mélancolique. Il pose son livre pour les images qui défilent sur l'écran à son poignet, images des évènements de la nuit, sollicitation d'adhésion au Club Privilège d'un cercle d'acheteurs d'antiquités, images pornographiques, cours des valeurs du bitcoin.... une iode luminescente orange en surimpression d'écran indique à Paul Gerfaut que du courrier urgent a été déposé dans sa messagerie. La raison pour laquelle Paul Gerfaut est dans son lit plongé dans la lecture des chroniques d'un auteur oublié, dans une vieille édition papier, il faut la chercher surtout dans la place qu'occupait Paul Gerfaut dans les rapports de production.

2.
Georges Randolph était dans les rapports de production, à la même place que Paul Gerfaut. Georges et Paul se connaissent. Ils ont l'habitude de jouer aux cartes chaque fin de semaine. Paul rejoint alors Georges dans sa résidence périphérique classée en catégorie C+, les jeudis en milieu d'après-midi. Les résidences classées en catégorie C+ sont équipées d'ascenseurs. Elles sont aussi pourvues de fenêtres et la fourniture d'électricité est garantie la journée entière et une partie de la nuit. Georges Randolph est vieux lui aussi et souvent en proie à de violentes colères, il soliloque alors -....je m'étais promis de croire qu'alors je la conduisais en enfer, une page par jour des preuves de sa trahison, toutes hein !....trahisons putain.... et puis je l'ai pas fait.... était ce matin son ordre de bataille quand le bip de son bracelet connecté le soustrayit à sa colère. Les images défilent à l'écran de son poignet, images des évènements de la nuit, sollicitation d'adhésion à un club de jeux violents, images pornographiques et cours des valeurs du katcoin. Une iode luminescente verte en surimpression d'écran indiqua à Georges que Paul sera chez lui, deux heures avant le rendez-vous fixé de l'après midi. On est jeudi.

3.
Paul Gerfaut est sorti de son lit. Il se tient penché, l'oeil à l'écran de son bracelet connecté. Sur l'écran du bracelet brillent des iodes luminescentes orange, orange est l'avertissement d'une information prioritaire pour laquelle le destinataire est tenu de valider sa lecture. Sans validation de lecture des messages de teneur orange pendant les huit premières heures de leur affichage, le compte bancaire du destinataire est débité du montant d'une amende forfaitaire, automatiquement majorée toutes les deux heures jusqu'à l'envoi d'un récépissé de lecture. Seuls les institutions et compagnies d'intérêts prioritaires sont habilitées à utiliser les messages orange. Les envois orange étaient à peu près sûrs même si, il y a encore peu, des pirates avaient réussis à infiltrer les registres des transactions chiffrées pourtant pilotées par l'ensemble des ordinateurs vendus et contrôlés par les fabricants. Au regard des 108 milliards de données générées par jour pour les seuls échanges de messageries sous label prioritaire orange, 108 milliards étant un infini, les falsifications étaient annoncées logiquement impossibles. Pourtant des images pornographiques et d'armes avaient circulées comme sur n'importe quelle autre messagerie. Le message déposé dans la boite orange de Paul Gerfaut indiquait qu'il sera déplacé dans un nouveau bloc d'une résidence périphérique de catégorie C, la souscription à son assurance locative obligatoire augmentée d'un point et demi et sa couverture risque améliorée. En testament des bonheurs et maintenant rien pour les imbéciles.... dit tout haut Gerfaut.

4.
Il n'y croyait pas à cette annonce. Il lui restait sur son abonnement, trente jours d'occupation. Les messages orange d'allocation de logement étaient déposés vingt quatre heures précédant l'échéance. Il se dit qu'il devait s'agir d'une intrusion publicitaire pirate même si les annonces des trois principaux fabricants, diffuseurs et contrôleurs du Net avaient assuré que les attaques des messageries orange avaient cessées et leurs auteurs démasqués et lourdement condamnés. Mais on n'avait jamais su leur identité, elle était restée cachée.... à moins évidemment qu'ils n'aient jamais existé. Gerfaut se rendit dans sa salle de bain. Il s'y habilla, s'y rasa, s'y peigna, s'y désodorisa, s'y lava les dents, s'y habilla, s'y mira. Visage pâle, ovale et ridé, couronné de cheveux blancs blonds sur calvitie, menton énergique légèrement prognathe, yeux bleus trop mobiles, regard un peu fuyant, taille moyenne, peu musclé, trop d'estomac. L'ensemble était contenu dans un caleçon shorty bleu Eminence, une chemise bleue sous un pull fin, un complet gris fatigué. Avant de sortir, il vérifia comme chaque fois, la bouche de ventilation de la salle de bain. Dans une résidence voisine, l'inversion de sens des bouches du système double flux installé par les bras des unités de construction robotisées, avaient provoqué l'asphyxie lente des occupants. Il valida ensuite depuis son bracelet connecté, le récépissé de lecture du message à teneur orange. Il était 11h15, on était un jeudi, le 16 mars. Arrivé dans le hall de l'immeuble, il décida de manière tout à fait inhabituelle, de ne pas utiliser le service de voiturage Uber. Peut-être que les restes d'une réunion nocturne et festive, bouteilles vides et emballages de restauration sous vide laissés là, furent pour quelque chose dans sa décision de sortir vite. L'optimisation des épaisseurs de planchers des étages des habitations des résidences de catégorie C n'autorisait pas de se tenir à plus de deux dans une même pièce. Ce qui ne gênait pas Paul, il vivait seul. Ceux qui souhaitaient se réunir pour, par exemple débattre du futur des personnages de leur série préférée, d'une saison l'autre, pour çà ou pour toute autre activité devaient alors se tenir sur le plancher du rez de chaussée, le seul à même d'en supporter la charge. Georges franchit à pied le sas de contrôle des accès et sorties du bloc d'habitation et se retrouva dans une des allées de la résidence classée en catégorie C.

5.
Il marchait vite. Il activa un code enregistré dans son bracelet connecté qui commande l'ouverture de la grille de contrôle d'accès des entrées et sorties de l'aire résidentielle. Il fut gêné comme surpris alors qu'il franchissait le sas, par le bourdonnement continu des drones volant bas au-dessus des avenues. Il se dit qu'il y avait trop longtemps qu'il était sorti marcher. Plusieurs types de drones se partageaient les basses parties du ciel des avenues. De cinq à quarante-cinq mètres, les quadricoptères ne pesant que six cent vingt grammes, équipés de protections d'hélices et de composants assemblés de manière à se disperser s'ils venaient à s'écraser au sol, conçus et distribués pour l'essentiel par Vantage Robotics, étaient utilisés par quantité de services de livraison et les chaînes d'informations. FoxNews et CNN monopolisant la presque totalité des réseaux de réalité virtuelle en images 3D. L'Administration Fédérale de l'Aviation avait autorisé l'utilisation de drones commerciaux de basse altitude dès le début des années 2000. Au dessus, les drones plus lourds de deux kilos de la police et de l'armée, avec des chargements auxiliaires d'un demi-kilo, évoluaient en vol programmé. Paul Gerfaut descendait maintenant l'avenue des Mimosas. L'avenue des Mimosas bordait pour l'essentiel des résidences de catégorie C. Les façades des immeubles présentaient une même teinte dominante verte. Avec des variations qui dépendaient de l'ancienneté des isolants recouvrant la totalité des façades. Pas de fenêtres, réservées aux seuls blocs des résidences de catégories C+ et supérieures. Les performances accrues d'inertie thermique des enveloppes et la régulation automatique du renouvellement d'air par les systèmes de double flux Thermix, avaient permis la suppression des fenêtres lesquelles causent des déperditions de calories et une consommation accrue d'énergie.

6.
Il était seul, personne à cette heure de la journée ne le croiserait hormis quelques voitures Uber sans chauffeurs. Il avait faim mais désorienté ne savait plus où retrouver l'automate multiservices de la zone qui proposait outre la recharge des appareils connectés et services aux abonnés, des en-cas sucrés ou salés dans des distributeurs réfrigérés. Il poursuivit sa marche vers le nord du moins le supposa-t-il, le soleil pâle et presque au zénith pouvait être trompeur. Il marcha presque une demi-heure entière sans haltes, dans la direction de ce qu'il pensait être celle de la résidence de Georges Randolph. En sueur il regrettait d'avoir refusé souscrire à l'abonnement de lunettes connectées lesquelles, vantait son diffuseur, outre les ordinaires services en bandes hologramiques défilantes d'informations en continu, divertissements, jeux et offres spécialisées, garantissaient un parfait isolement aux désagréments du dehors. Mais surtout, merde quelque soit le forfait, toutes étaient équipées d'un GPS. Et ce n'est pas l'alignement uniforme des immeubles d'habitation des résidences fermées qui l'aiderait à s'orienter. Depuis longtemps les édifices répétaient uniformément du Nord au Sud de l'Europe entière, deux modèles types de blocs d'habitation, de quatre à six étages, issus des systèmes experts mis en place dès les années 2020. Les variations de décors et d'équipements étaient fonction de la catégorie de leur affectation B, C ou D. En catégorie A, on trouvait les pavillons de lotissements périurbains affectés aux riches bénéficiaires de forfaits illimités de résidences et quelques édifices anciens préemptés par les sociétés du Net. Hors catégorie, les équipements et bâtiments publics sans destination, l'ensemble des services, soins, éducation, alimentation et biens de consommation, administration, transports, loisirs et beauté étaient accessibles depuis longtemps déjà par voie de souscription aux abonnements, licences et forfaits, tous accessibles depuis nos appareils connectés. Ils étaient utilisés comme aires de stockage par les sociétés de livraison de biens de consommation. En 2030, un décret rendu public via la messagerie orange, abolissait la propriété privée des particuliers, l'ensemble des besoins étant pourvus. Il était admis, disait l'annonce orange que la finalité de la consommation est seulement d'obtenir une solution à des problèmes. Le nouveau modèle imposé de souscription remplaçait l'usage sur la possession. Paul Gerfaut se résigna à commander un Uber. A midi trente, la voix numérique du véhicule lui signifiait son arrivée à la résidence de catégorie C+, de l'Allée des Marguerites.

7.
Georges Randolph était quelqu'un d'aussi désorienté que Paul Gerfaut. Pourtant il n'y a pas de commune mesure entre Paul et Georges. Paul était né dans les années quatre-vingt-dix, mille neuf cent quatre-vingt-dix, à Villefranche sur mer. Dans les derniers temps de sa vie, Georges était un septuagénaire au teint brun, au corps dodu, aux tempes teintes qui habitait, pour deux fois trois mois reconductibles, un appartement de taille moyenne d'un immeuble d'une résidence de type C+. Georges Randolph était bien plus riche que Paul mais menait une existence misérable. Il vivait absolument seul, soit dit en passant comme Paul. Il avait peur contrairement à Paul. à douze heures trente cinq, Georges Randolph se levait du fauteuil depuis lequel il consultait une base de données sur les résultats comparés des niveaux d'instruction des jeunes adultes depuis les années 2020 jusqu'à l'année 2030. Georges Randolph avait été, dans une autre époque, professeur d'université. Georges Randolph se levait du fauteuil dans lequel il était assis parce qu'on sonnait à sa porte. Il vérifia sur son bracelet connecté l'identité du sonneur et ouvrit la porte.

8.
Maintenant assis l'un en face de l'autre, chacun des deux côtés d'une table, Georges Randolph et Paul Gerfaut jouent aux cartes. Des cartes en carton avec des figures imprimées. Ils étaient rares à en avoir conservé encore. Ils jouent à la bataille. On les regarde, chorégraphie d'une ronde où les danseurs ivres comme des derviches additionnent le même pas. Il y avait des dessins sur sa table et sous l'apparent vrac, un ordre, de plusieurs tas de feuilles de papier calque empilés avec des poids posés pour les tenir. Des carnets aussi, à couverture de carton bois, de feuilles blanches épaisses, toutes crayonnées.... des plans, des croquis aux traits déliés, graciles.... des années tenues serrées dans ces pages, des années dessinées et pour certaines annotées en marge, phylactères utiles à renseigner les dessins. Une infinie collection d'objets solides, statiques représentés sur le blanc des papiers.... sans la vie vécue et les scènes qu'elle compose.... serrée dans ces cahiers, une réalité rétrécie.... j'ai tout rassemblé sans brusquerie et consciencieusement tout jeté. Quand elle est rentrée, je ne me rappelle pas qu'elle ait dit quoi que ce soit.... elle était responsable des archives de l'université.... la pâleur de son visage peut-être comme des mots.... reine de coeur, sacrée bataille, finit par dire Georges Randolph. Tu rabâches, Georges, tu t'épanches.... puis tu vas pleurnicher L'épanchement ça pommade les coeurs meurtris, c'est connu.... l'apitoiement et les larmes ça finit par faire du bien. Tirer ou se tirer, dans les histoires c'est ce que font les amants trompés.... ça encombre le tribunal, les petites misères aux divorces, le fait divers aux assises. Si tu l'avais connu, Paul, sa déhanche.... ses cheveux longs.... cette façon qu'elle avait de trotter, ses jambes longues .... elle pendulait, Paul, elle pendulait. J'en étais dingue Ce souvenir c'est du poison.... de la potée aux regrets. Ouais.... ma plus longue histoire, Elena, qui m'a trahi.... une archiviste, pas un hasard çà ! .... archiviste de tes infidélités ? Non, elle tenait la liste des liquidations. Elle avait été architecte et puis mutée aux archives où je l'ai connu T'emploie de ces mots !.... architecte ? t'es historien ? Hé, con, ingénieur programmeur.... j't'explique.... à l'époque, c'est dans les années 2020, les écoles d'architecture, y'avait à l'époque des écoles d'architecture.... elles avaient formé des chercheurs, par palanquées, qui sont devenus profs. On ne formait plus d'architectes, y avait déjà plus d'artisans et de petites entreprises. Y avait plus d'architectes pour construire, leurs garanties d'assurances ont été transférées aux fabricants d'unités de construction robotisées. Déjà qu'on ne les utilisait plus beaucoup.... ils sont devenus des critiques ou ch'ais pas précisément. Des chercheurs ? En je ne sais plus très bien quoi. Alors les écoles ont été absorbées par l'université, logique çà. Mais comme on ne savait toujours pas très bien ce qu'ils faisaient.... des colloques sur la ville, des conférences qui n'intéressaient plus grand monde.... mais bon, ils causaient, ce qu'ils faisaient semblait utile à AirBnBNewGard, à ce qu'il allait devenir.... ils siégeaient dans des commissions.... AirBnBNewGard les recrutait, ça les faisait bouffer.... alors l'université a fondu leurs départements avec les écoles de commerce, ils faisaient du marketing.... la smart city, la participation des habitants.... tous ces trucs. Elena était chargée de liquider les archives des départements d'architecture.... pour l'université.... c'est là que je l'ai croisée. Georges, on va me changer de résidence.... T'es à l'échéance ? Te restait pas un mois ? Oui.... mais on me déménage. Ils me l'ont dit ce matin, sur messagerie orange Ils t'ont amputé ta retraite ? non T'as vérifié l'authenticité de l'envoi ? Oui Le détail des sources ? Çà, je ne sais pas faire.... Donne-moi ton bracelet. Georges quitta la table de jeu. D'une pochette en lycra souple, il sortit plusieurs petits boîtiers noirs, d'antiques connexions filaires qui lui permirent de raccorder boîtiers, bracelet et un clavier numérique 208 touches Sanya. Paul admira la dextérité de Georges, buste immobile et droit, doigts agiles et rapides à pianoter alternativement sur les écrans à cristaux liquides du bracelet et du clavier. Après un intermède bien court pour une opération réputée difficile, Georges calmement dit : Ca y'est.

9.
AirBnB, au départ société de location de logements entre particuliers, s'était associée dès 2017 à des promoteurs immobiliers, le premier NewGard était basé à Miami. AirBnB a fait construire des immeubles de logements pour la location avec services, portes sans clé, service de nettoyage, gardiennage, locaux sécurisés permettant aux propriétaires investisseurs de stocker des affaires lors des locations longues durées. Très vite le modèle s'est étendu jusqu'à ce que les propriétaires particuliers durent vendre leurs parts de ces milliers de copropriétés spéculatives à la maison mère, AirBnBNewGard étant toujours resté propriétaire des murs. Dès les années 2030, la seule offre de logements était celle de location moyenne ou longue durée, de trois ou six mois via des réservations ou souscriptions par abonnements. Après 2032 et le décret de février abolissant la propriété privée des particuliers, AirBnBNewGard qui agissait d'abord via des Partenariats Public Privé par lesquels l'état déléguait la totalité de la construction de logements, fut détenteur d'une délégation de services exclusive votée et successivement amendée par les assemblées de gouvernements. Gouvernements qui tenaient sur de très courtes périodes, leur stabilité toujours défaite par les manipulations de rumeurs, scandales et autres invérifiables informations diffusées massivement via les réseaux interconnectés. AirBnBNewGard affectaient des locations en fonction de votre profil et de vos revenus. Dans le cadre de la production de ces logements de location à durée déterminée, les attentes et besoins des utilisateurs étaient prédéterminées dans des offres définies de manière probabiliste par les systèmes automatiques de modélisation du social. Une gouvernementalité algorithmique définissait votre profil et solvabilité et vous désignait un logement via un abonnement. Les comportements de l'ensemble de la population avaient été modélisés, anticipés et affectés par avance, précision autorisée par la récolte, l'agrégation et l'analyse automatique de données en quantités massives. Drones, bases de données interconnectées, registres des abonnements et souscriptions gérées par tout à chacun à partir de blockchains, permettaient l'actualisation des modèles. Ce qu'avait trouvé Georges c'était l'information qui avait déclenché le déménagement par les algorithmes, de Paul, dans une résidence lointaine de catégorie C. Cette information, Georges hésitait à la livrer in extenso à Paul, il ne lui en donnerait qu'une part, pour le reste cela le concernait. Tu as participé en 2028 à la construction d'abris pour les exclus des bases de données AirBnBNewGard ? demanda Georges Ils ont çà ! je croyais que tout avait été effacé.... Rien ne disparaît d'une blockchain. Y'a pas que çà, poursuivit Georges. T'as fait partie des commissions de certification et de référencement des process industriels pour la construction. C'est la connexion de ces deux sources qu'a fait tilté l'algorithme.... t'as eu une jeunesse agitée, Paul ! .... j'étais employé à la maintenance des super composants pour capotage de façades chez LynnNegroponte.... rien d'héroïque là dedans. J'étais chargé d'évaluer la pertinence des assemblages des composants. J'effectuais la mesure des tests des maquettes numériques aux conditions auxquelles ces composants et assemblages seraient soumis. LynnNegroponte avaient défini les spécifications auxquelles la production devait répondre. C'est LynnNegroponte qui avait développé les logiciels et process de modélisation 3D couplés aux bases de données qui permettaient de gérer la fabrication, la mise en oeuvre et la maintenance des composants. LynnNegroponte sous-traitait pour AirBnBNewGard. Tout était fabriqué en Inde et au Bengladesh et assemblé ici par des unités de montage robotisées. Je sais, c'est là qu'on s'est connu. La validité des spécifications et la prescription des modèles ont fini par être pris en charge par les systèmes experts, par traitement logique des masses d'informations collectées dans les blockchain. Plus d'acteurs humains. Tu répétais à qui voulait t'entendre que ça ne marchait pas, que des fenêtres F2 étaient montées dans des baies H6, des capots de série empilés sur un même support de façade, des mitigeurs installés à des hauteurs d'un mètre quatre vingt ou plus.... j'en passe. Tu pouvais sauter, tu t'en rendais pas compte. Alors, j'ai oeuvré à ton émancipation, mon cher. Ne l'oublie pas. Je t'ai fait bouger aux commissions de concertation clients, tu m'as remercié, tu t'en rappelles ? Oui. Et j'ai vite compris qu'elles ne servaient à rien ces commissions. Du baratin pour les réseaux.... Oui mais on t'a logé en catégorie C+, la vie était plus facile.

10.
Il y eu un silence assez court durant lequel ils s'évitèrent du regard. Le lien logique c'est çà.... AirBnBNewGard a des problèmes de maintenance, ça plombe leurs comptes.... les bilans de consommation et d'exploitation des résidences sont désastreux, les usages ne se conforment pas aux pratiques retenues par les modèles. Ils pourraient perdre leur mandat d'exclusivité si ça se savait.... Les locataires sont exigeants et vite irascibles quand le service n'y est pas. ça se comprend au vu des prix de séjour. Des rumeurs ont circulé sur les réseaux, des fabricants de systèmes de sécurité ont même voulu utiliser ces rumeurs pour leurs pubs, ils ont vite été arrêtés.... Georges, on ne se verra pas les jeudis à venir, ils m'ont mis loin.

11.
Pour Georges tout va bien, il resterait en résidence de catégorie C+. Cependant, les soirs, il lui arrive de boire immodérément du rhum 3 Rivières et de prendre des barbituriques et, au lieu de dormir, ça le plonge dans un état d'excitation amère et de mélancolie. Il aurait pu devenir designer de capots des façades de blocs, un artiste ou plutôt un homme d'action et de justice, un aventurier, un soudard, un conquistador, un révolutionnaire oeuvrant pour les déclassés des bases de données. On ne voit pas très bien comment les choses vont tourner pour Paul et Georges. On peut le supposer mais avec précision, on ne voit pas. Dans l'ensemble, ils vont être détruits, c'est dans les rapports de production qu'il faut chercher la raison pour laquelle Georges continue d'avoir peur et Paul de continuer à lire, dans une vieille édition papier, les chroniques de cet auteur lusophone qui le rend mélancolique ;

Le cheval tourne la tête et rit.

Sommaire du numéro 7
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LA GUERRE DES COURANTS
VREMYANKAS, LOGEMENTS PROVISOIRES ÉTERNELS
MIGRANTS « LO-FI » UN PHÉNOMÈNE DE LA SPHÈRE PUBLIQUE : CAS DE TRAVAILLEURS MIGRANTS D'ASIE CENTRALE
INGÉNIEUR ET BRICOLEUR OU L'OEUF ET LA POULE POST-APOCALYPTIQUES
LA MARCHE DU CHEVAL JÉRÔME GUENEAU
NOIRE LA RUBRIQUE
EDITO/JOURNAL À TITRE PROVISOIRE N°7 : INGÉNIERIE ENSAUVAGÉE JOURNAL FRANCO-RUSSE

Réalisation : Échelle inconnue

MAKHNOVTCHINA
MAKHNOVTCHINA
Makhnovtchina est un repérage actif des nouvelles mobilités urbaines et périurbaines à l'heure des grands projets de métropolisation. C'est un atelier itinérant de production participative d'images (fixes, vidéos, ou multimédia), de textes, de cartes, de journaux, « Work in progress ». Ce travail mené par des architecte, géographe, créateur informatique, sociologue et économiste vise à terme la proposition d'architecture ou d'équipements mobiles et légers. Ce travail vise, en outre, à explorer les futurs vides ou terrae incognitae que créent ou créeront les métropoles. Il propose une traversée du terrain d'accueil pour « gens du voyage » au marché forain en passant par les espaces des nouveaux nomadismes générés par la déstructuration des entreprises, notamment de réseau (EDF, GDF, France télécom...), ainsi que par les campings où, faute de moyens, on loge à l'année. Une traversée, pour entendre comment la ville du cadastre rejette, interdit, tolère, s'arrange, appelle ou fabrique la mobilité et le nomadisme. Ce projet de recherche et de création s'inscrit dans la continuité de certains travaux menés depuis 2001 : travail sur l'utopie avec des « gens du voyage » (2001-2003), participation à l'agora de l'habitat choisi (2009), réalisation d'installation vidéo avec les Rroms expulsés du bidonville de la Soie à Villeurbanne (2009) et encadrement du workshop européen « migrating art academy » avec des étudiants en art lituaniens, allemands et français (2010). Il tente d'explorer les notions de ville légère, mobile et non planifiée avec ceux et celles qui les vivent.