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Champ vide.

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ET SI PARIS FAISAIT SEMBLANT DE NE PAS VOIR SON FONCIER?

Numéro 5


Le centre pour personnes sans-abris des Enfants du Canal attend que 28 places d'hébergement, "aient enfin lieu".

« Il n'y a plus de foncier » ; voilà ce que répondent les institutions. Paris est plein en somme, son plan entièrement hachuré. Il est interdit d'y prendre place. Les mots raisonnables de la fabrique de la ville ont fait preuve de leur incapacité à en faire l'espace de tous. Alors comme Lewis Caroll partant à la recherche de l'animal fantastique appelé le Snark, nous partons à la chasse au luxe, car le luxe c'est l'espace et, depuis quelque temps déjà nous trouons Paris.
Si les vides n'existent pas, nous les inventerons. Ainsi, à tant y faire trous, la ville finira bien par se fissurer ! La ville cadastrée est à la fois pour nous, le champ de bataille et l'ennemi qu'il convient d'assaillir de toutes parts et selon différentes tactiques. 1/ vérifier les blancs des cartes. 2/ repérer dans le plein les anfractuosités habitables 3/ créer le vide. Pousser les portes, arpenter les cours, explorer les toits. De tous ces vides, arpentés, créés, et par là inventés (comme on invente une grotte), reste à dresser la carte et celle de leur relation. Les qualifier. Alors que dans l'ouvrage de Lewis Carroll la carte n'est qu'une page blanche orientée, la nôtre serait tout aussi orientée, mais plutôt pleine ou hachurée au préalable. Notre carte de l'espace libre ne peut être que coup de gomme ou lame de rasoir sur le plan, le cadastre existant. En somme, la norme de cette carte des vides reste à inventer.
Vivre la rue est, bien plus que vivre dans un espace hostile, vivre l'impossible de la ville. Seules des tactiques, des inventions, des pratiques souvent clandestines permettent d'y survivre en en explorant les possibles ou en les créant. Cette connaissance de la ville reste cependant, pour grande part, invisible. Là encore, comme dans la chasse au Snark, c'est par la rencontre que peut s'en dresser la carte.

Parcourir l'impossible avec ses arpenteurs
Pendant plusieurs semaines nous avons traqué, débusqué et inventé des vides dans les 5e, 13e, 14e et 15e arrondissements de Paris. L'entreprise était vaste, la chasse au luxe ouverte. À pied, avec patience et plan de métro, avec appareil photographique et espoir, souvent trop tôt le matin, nous cherchâmes à penser le vide, non comme un reste, un déchet de ville, mais comme un plein de possibles ; à entrevoir dans la ville dense, les murs, les rues, les clôtures qui emprisonnent parfois, à raz de terre, des mètres cubes de ciel. Ces mètres cubes de ciel, nous en fîmes le plan. Alors, nous vîmes fleurir Paris de 1000 vides rouges, qui nous appellent comme on appelle une abeille, une goutte de rosée, une araignée ou un pinson.
À mesure de marche, nous croisions un Paris fertile où croître entre égaux. À pleines brassées, nous cueillions en bouquet ses pleins, rouges, tendres et translucides.
Plus de foncier ? Paris serait plein ? Et pourtant 149 vides trouvés alors que la carte et les arrondissements n'ont pas été épuisés : vides publics ou privés, vides des institutions hospitalières, de transport ou ecclésiastiques, vides disponibles un temps en attente d'affectation, ou plus généralement disponibles de manière pérenne ; des pieds d'immeuble, des triangles, des dents creuses, des toits, des places, des jardins, des squares, des boulevards, des coeurs d'îlots, des ronds-points, des ponts, des pignons, des angles, des terrains, des talus.
Autant de lieux qui dictent ou appellent certains modes d'occupation ; effleurer le sol, se glisser entre, dessus, dessous ou dans un interstice, se hisser par dessus, au-delà, se pousser vers le haut, s'accrocher, se tirer, tendre entre deux murs ou se suspendre à un arbre ou à un pont, se balancer, tisser une toile, s'arc-bouter, escalader, prendre appui sur une échelle, un muret, un toit, grimper le long d'un arbre, d'un mur, sauter, décoller, voler ou atterrir. Se nicher dans un feuillage, se cacher dans la cime, dans un angle, derrière un mur ou un jardin, se cabaner, se protéger sous, dessous, se clipser, se plugger, enserrer un tronc d'arbre, un poteau, réhabiliter, réutiliser, copier, repenser, investir, occuper, troubler, sortir sur la rue, au-dessus, par les fenêtres ou transformer un espace en musée, une plante en jardin.
Autant de vides qui définissent le profil des possibles, foyers éclatés en constellations de chambres, cuisines, bureaux, laveries et services, logements groupés par 2, 3 ou 4, ou plus.

Projet
Appelée par le PEROU pour effectuer la première étape de l'appel à idées lancé à son initiative et celle des Enfants du Canal, pour la conception et la réalisation de 28 places d'hébergement supplémentaire à Paris, Echelle Inconnue a traqué et débusqué les vides pendant plus d'un mois, en poussant les portes, explorant les recoins, en suivant, épuisant, enquêtant et en apprenant.
Nombre de lieux inventés :
150 dans les 5°, 13°, 14° et 15° arrondissements de Paris.
Nombre d'arpenteurs : Une dizaine.

LES VIDES TRAQUÉS DE PARIS
Types de lieux :
Des talus, des terrains, petits et grands, des angles de bâtiment, des angles de rues, de nombreux murs pi- gnons, des ponts, des toits, de vastes ronds-points, des coeurs d'îlots, des jardins, des places, des squares, de larges boulevards, des dents creuses au dessus des bâtiments, des triangles ou autrement dit des espaces résiduels, des pieds d'immeuble non aménagés, des bâtiments à réhabiliter.

Langages d'occupation :
Effleurer le sol, se glisser entre, se glisser dessous, dans un interstice, se glisser dessus, se hisser par dessus, au-delà, se pousser vers le haut, s'accrocher, se tirer, tendre, se tendre entre deux murs, se suspendre à un arbre, se suspendre à un pont, se balancer, tisser une toile, s'arcbouter, escalader, prendre appui sur une échelle, un muret, un toit, grimper le long d'un arbre, d'un mur, dessus, sauter, décoller, voler, atterrir.
Se nicher dans un feuillage, se cacher dans la cime, dans un angle, se cacher derrière un mur, un jardin, se cabaner, se protéger sous, dessous, dans un arbre, se clipser, se plugger, serrer un tronc, un poteau.
Réhabiliter, réutiliser, copier, repenser, investir, occuper, troubler, sortir sur la rue, au-dessus, par les fenêtres, transformer un espace en musée, une plante en jardin.

Sommaire du numéro 5
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ET SI PARIS FAISAIT SEMBLANT DE NE PAS VOIR SON FONCIER?
HABITER COMME CONTESTER
LA ROUTE VERSUS LE MUR
L'HABITAT MOBILE OUVRIER DE DIEPPE À MOSCOU
L'HABITER MOBILE OU L'ALTERMÉTROPOLISATION
L'HYPOTHÈSE DE L'HISTOIRE
MOSCOU : DÉRIVE EN TERRITOIRE MIGRANT
ON VA LÀ OÙ IL Y A DU TRAVAIL !
SAVOIR MAISON GARDER : UNE VILLA MOBILE RECOMPOSABLE
EDITO / JOURNAL À TITRE PROVISOIRE N°5 : MAKHNOVTCHINA / ENTRE CIRCULATION ET SÉDENTARISATION : HABITER L'IMMOBILIER
NOIRE LA RUBRIQUE : SUR LA ROUTE!
BIDONVILLE DE QUI ES-TU LE PROBLÈME ? DE QUOI ES-TU LA SOLUTION ?
TU VEUX QU'ON BOUGE ? OK ! MAIS COMME ON NE DÉMÉNAGE PAS D'UN BIDONVILLE

Réalisation : Échelle inconnue

MAKHNOVTCHINA
MAKHNOVTCHINA
Makhnovtchina est un repérage actif des nouvelles mobilités urbaines et périurbaines à l'heure des grands projets de métropolisation. C'est un atelier itinérant de production participative d'images (fixes, vidéos, ou multimédia), de textes, de cartes, de journaux, « Work in progress ». Ce travail mené par des architecte, géographe, créateur informatique, sociologue et économiste vise à terme la proposition d'architecture ou d'équipements mobiles et légers. Ce travail vise, en outre, à explorer les futurs vides ou terrae incognitae que créent ou créeront les métropoles. Il propose une traversée du terrain d'accueil pour « gens du voyage » au marché forain en passant par les espaces des nouveaux nomadismes générés par la déstructuration des entreprises, notamment de réseau (EDF, GDF, France télécom...), ainsi que par les campings où, faute de moyens, on loge à l'année. Une traversée, pour entendre comment la ville du cadastre rejette, interdit, tolère, s'arrange, appelle ou fabrique la mobilité et le nomadisme. Ce projet de recherche et de création s'inscrit dans la continuité de certains travaux menés depuis 2001 : travail sur l'utopie avec des « gens du voyage » (2001-2003), participation à l'agora de l'habitat choisi (2009), réalisation d'installation vidéo avec les Rroms expulsés du bidonville de la Soie à Villeurbanne (2009) et encadrement du workshop européen « migrating art academy » avec des étudiants en art lituaniens, allemands et français (2010). Il tente d'explorer les notions de ville légère, mobile et non planifiée avec ceux et celles qui les vivent.