Densification et métropolisation sont devenues les credo de la petite fabrique des murs et de la ville. Peu remises en cause, ces préconisations ont valeur d'ordre et se justifient par le respect écologique. Cependant, à mesure que la ville s'étend, se recompose, se réopère, elle fabrique aujourd'hui, comme hier, ses délaissés, ceux qui, s'ils ont droit à la ville, n'y trouvent cependant pas leur place tant celle-ci n'est pas faite pour eux. Ainsi la tache verte de la carte entourant les cités redensifiées voit-elle arriver ces nouveaux délaissés et non adaptés de la métropole.
Pour faire bref et au risque de la caricature, la métropole, plus qu'une réforme de la ville elle-même, propose une recomposition globale du territoire qui pourrait faire penser à l'édification de nouvelles cités-États perdues dans l'inconnu cartographique qu'elle a généré. Au-delà, elle propose et valorise un certain mode de vie décalqué, pour l'essentiel, sur le mode de vie des cadres internationaux : grande et rapide mobilité des individus entre les cités hubs que sont les métropoles.
Ainsi, le chemin de Paris à Bruxelles est-il bien plus court que celui menant de certaines villes du Val d'Oise à Paris. La métropole, si elle perdure, devra se poser les questions du logement de Ses Grands Mobiles de l'économie symbolique, spéculative ou tertiaire. Mais laissons-lui ces questions pour l'instant et attachons-nous à ceux qui, n'ayant pas intégré ce modèle, se trouvent de fait éjectés de la métropole (loyers trop élevés, absence de travail, ouvriers, saisonniers, etc.).
Ceux-ci, portés par leurs rêves de maison et par la faible densité du territoire, s'installent de manière de plus en plus provisoire dans les vides périphériques et ruraux, les rattachant ainsi, par leur pratique, à d'autres délaissés historiques des cités : Voyageurs ou nomades.
Nouveaux mobiles : qui sont-ils ? Combien ?
Alors que communication urbaine et marketing vantent les oripeaux et totems de la mobilité inter et intra métropolitaine (train à grande vitesse, avion, téléphone et ordinateur portables, technologie GPS, etc.), la crise de l'emploi exclut de ce système rêvé et favorise la réapparition d'un prolétariat nomade, disparu depuis le Front Populaire.
Échappant tant aux radars sociologiques qu'aux radars politiques, ces nouveaux modes de vie en marge tendent à se répandre, augmentés du phénomène des nouveaux ruraux, cherchant pour un temps ou pour une vie, une manière d'habiter, manger, produire ou consommer. C'est un phénomène croissant qui repeuple, de manière « stellaire », le grand reste laissé par les nouvelles formes urbaines.
Déjà, des formes d'habitat s'hybrident par l'usage, la yourte possède des planchers isolés en zone humide, une yourte « à la française », bénéficiant d'une pente de toit plus importante, se fabrique en série sur le territoire hexagonal. De plus en plus de camions utilitaires voient, en plus d'une couchette, arriver dans leur habitacle, isolation, réseau électrique, panneaux solaires, ampoules à LED, voire électroménager. Les traditionnels véhicules de camping se voient aussi davantage autonomisés et équipés pour un usage quotidien par des couples de retraités de plus en plus nombreux à tout lâcher (maison, etc.) pour vivre à l'année suivant un parcours saisonnier. Par ailleurs, certaines aires de camping ou de mobilhomes prennent des airs de lotissements pavillonnaires (vérandas, jardinières et haies vives en clôture) accueillant une population fixe.
Une nouvelle manière d'habiter léger ou mobile voit le jour, proche de celle des « Gens du Voyage », sans cependant profiter de leurs expériences. C'est ce moment historique particulier qui peut, peut-être, permettre de nouvelles hybridations, connexions et réinventions de la maison. Non pas celle « fondée », patrimonialisée, mais une autre légère, là un temps, ne laissant aucune empreinte (pas même écologique). L'architecte est peut-être alors là, à ce moment, après un long travail d'écoute active, pour proposer de possibles inspirations plus que des modèles à ces nouvelles maisons. Croiser les savoir-faire et expériences, tant techniques que sociaux et spatiaux.
Nomadisme ?
Il faut bien un mot pour définir ça, mais il convient de le rattacher à un réel des pratiques et non à un fantasme du supposé nomade. L'universalisme n'est pas ici le bon chemin à emprunter pour qui veut comprendre la réalité de cette pratique de l'espace ou de cette manière d'habiter ! À s'attacher au réel, il y a bien moins d'opposition entre l'habiter pavillonnaire et l'habiter mobile.
De l'extrême mobilité. Loin du cliché du Voyageur permanent « fils du vent » sans attache et partant au matin sans connaître sa destination, le réel des voyageurs (même historiques comme les Manouches) est bien plus territorialisé. On est d'une ville, d'une région et on ne se déplace pas sans raison. Les trajets, qui sont parfois les mêmes une vie durant, emmènent d'une base à l'autre, d'une enclave nomade à l'autre, comme le définit Arnaud Lemarchand dans son ouvrage éponyme. Ainsi, le Voyageur a une ville, un point, un terrain « géré » ou non, de référence. Il est dépendant, tout comme le « sédentaire », de ses raccordements au bien commun, au réseau (même si on lui en octroie bien moins facilement l'accès). Il a, concernant les fluides et énergies, souvent le même rapport de locataire que l'habitant d'un pavillon. Il est alors nécessaire pour les uns et pour les autres de se « plugger », c'est-à-dire de se brancher sans que cela soit antinomique du rêve d'indépendance que porte en soi, la maison (mobile ou pas).
Pas de tribu d'Indiens à préserver dans leur « caravane constituant l'habitat traditionnel » ; juste les nôtres, indiens, pirates ou pas.