Voilà la fable qui nous engage tous. Comme toute fable elle possède ses règles, que nous appellerons lois. Comme toute fable, son titre même met en scène les protagonistes dont on
peut déjà supposer les interactions et leur issue. La route et le mur... un accident ? Une impasse ? Les deux le plus souvent, pour ceux qui justement habitent l'espace entre ces deux mots et que les voyelles et consonnes de la loi, arrangées en codes de la route et de l'urbanisme, saisissent et rejettent tour à tour ou simultanément.
La route et le mur, le flux et l'immobilier qui depuis longtemps se sont partagés l'espace, en harmonie prétendue dont la métropolisation n'est que l'antépénultième symphonie.
Un journal ne suffirait pas pour explorer et expliquer article après article les raisons qui confinent à l'impossible « habiter mobile » : de l'interdiction de séjourner plus de 11 mois au même endroit (aire d'accueil, camping ou même terrain privé), de l'interdiction cependant de stationner beaucoup moins longtemps hors de ces lieux, de l'accès aux aires d'accueil exclusivement réservé aux détenteurs du très stigmatisant « carnet de circulation ». L'ensemble de ces conditions se trouvant à leur tour matinées et compliquées par la nature du « meuble » habité : véhicule (pour les camions et voitures), caravane, habitat de loisir pour les mobilhomes et affiliés, tentes, etc.
Un journal serait encore nécessaire pour expliquer et préciser les dispositions légales rendant difficile le fait d'occuper un terrain sans Certificat d'Urbanisme ou sans assainissement. Pour définir en somme ce qui sépare le mobilier de l'immobilier, le mur du flux, le fixe du déplaçable ou le pérenne du temporaire, puisque la loi ne connaît rien d'autre que cette binarité entraînant l'injonction contradictoire : « Circulez ! » « Sédentarisez-vous ! »
Pour les non-légistes (et non-légalistes) que nous sommes cela renvoie évidemment à l'impensé des villes qui s'élabore dans cet éternel présent qu'est le XIXe siècle et la naissance de cet urbanisme myope qui, effrayé par sa trouble vue et par l'indétermination, partage définitivement la ville en routes et en murs et, plus largement, l'espace en flux et immobilier.
Comme la loi, l'urbanisme ne semble guère connaître de gris et c'est aux premiers jours de la colonisation d'Alger qu'il apprend à éradiquer les espaces dégradés ou complexes avant de le faire à Paris, Lyon, etc. « L'urbaniste contemporain décomplexé » loue de nouveau, et au grand jour, le préfet Haussmann (qui lui ne l'était pas... urbaniste) pour avoir « libéré les flux ! ». Sans doute en effet, à l'instar des égouts qu'il fit construire, la circulation emportait-elle en eaux grises le petit peuple et ses lieux loin des façades neuves qui le canalisaient. Le chantier urbain bipolaire générait déjà le mouvement et le déplacement des populations que l'on connaît aujourd'hui. Combien de ces personnes expropriées retrouvait-on en roulotte ou en baraque dans la zone le long des fortifs (actuel emplacement du périphérique parisien) ?
Ni gris ni dégradés dans la myopie ou la cécité volontaire des faiseurs de ville. Route/mur. Immobilier/flux.
C'est pourtant ce gris que nous tentions de défendre sous les ors ministériels dans le cadre de la consultation concomitante au projet de loi ALUR. Mais non, là encore : noir/blanc, flux/immobilier. Des dispositions pour les « gens du voyage », d'autres pour les installations pérennes de yourtes mais pas de gris, d'habitat de fortune, de bidonville, de camions, etc. Tous insolubles dans la république.
Insolubles ? Peut-être pire encore pour le logiciel républicain comme le laissait entendre Marion Jenkinson lors de son intervention dans le cadre de notre « Doctorat Sauvage En Architecture ». Si une des pierres angulaires du droit reste le pater familias du droit romain régnant en monarque sur son domaine, que reste-il du droit quand l'idée même de ce domaine se dégrade ou devient floue ?
Notre adolescente naïveté nous aveugle-telle ? Lois et urbanismes sont-ils moins faits pour être respectés que pour qu'un certain peuple, sans nom précisément, se voit obligé d'y contrevenir ? Peut-on encore dire l'urbanisme et le droit comme des jeux à jouer, détourner, tricher, faire évoluer ? Dans cet âge inventé pour nous : adolescent nous rêvons toujours la caravane de la Makhnovtchina traversant le monde, le remettant à l'endroit c'est à dire : sans dessus dessous.