Moscou, Chisinau et Dieppe, comme beaucoup d'autres, sont des villes où les ouvriers, amenés à travailler sur de grands projets (construction de logements, de routes, arrêt de tranche du nucléaire, etc.) vivent dans des habitats légers. Dans ces villes, comme ailleurs, la nécessité de la main-d'oeuvre n'ouvre pas le droit à la reconnaissance d'un mode d'habiter.
Moscou / Chisinau / Dieppe / logement mobile et migration ouvrière
C'est un printemps en hiver. Mais ce n'est pourtant pas cette météo clémente qui remplit sur la côte normande les campings de Dieppe et de ses environs. La raison est atomique : « Arrêt de tranche » à la centrale nucléaire. Et les filières nombreuses aux affiliations étatiques plus ou moins claires s'empressent
et franchissent le pas de la légalité dont ce dernier serait garant, en réservant pour des périodes bien plus
longues que celles autorisées par la loi, des places de camping pour y loger leurs employés.
Héritage de la période soviétique, comme il est d'usage d'analyser tout ce qui se passe ici, ou ne se passe pas. Moscou comme Chisinau sont les patries des « petits boulots » de service : concierge, vestiaire, ménage, etc. Ces emplois ont leurs lieux : sous-sol de musée, loge-cabine de concierge, cabanon de gardien à l'entrée des cours d'immeubles et parking, kiosque de marchands logés dans les passages souterrains ou les trottoirs. Toute une somme de constructions de panneaux préfabriqués, de conteneurs de tôle galvanisée et montants d'acier bleu. Un ensemble de micros espaces, plus ou moins serrés et à l'installation peu probablement planifiée.
La fabrique de la ville planifiée fabrique la ville non planifiée
À Moscou, comme en France, on vérifie les relations réputées contre-nature que ville planifiée et ville mobile entretiennent. Là encore, le projet urbain ou immobilier amène sa main-d'oeuvre souvent de loin, peuple de déplacés volontaires qui iront pour certains s'entasser dans les conteneurs visiblement mis à leur disposition par les entreprises.
En Moldavie, plus d'un tiers de la population vit à l'étranger. Les Moldaves vont grossir les rangs des ouvriers du bâtiment ou de l'aide à la personne en Russie ou, il y a peu encore, au Portugal. La main d'oeuvre vient à manquer, ainsi, les chantiers moldaves font-ils appel à des ouvriers roumains, pakistanais ou chinois. Là encore, le logement mobile devient la variable d'ajustement immobilière capable d'abriter à moindre coût - et en réputée invisibilité - ces Autres.
Autant par effet de réel que de synonymie, la ville mobile devient pour les faiseurs de ville planifiée la ville de l'Autre. Soit parce qu'elle héberge de fait l'étranger, soit que quiconque l'habitant le devient. En cela, peu de différence avec la France.
La planification par tabula rasa : le nettoyage du calque
Est-ce définitivement l'acte sans lequel l'architecture ne saurait se concevoir ? Architecture d'espace, de ville, comme de système politique. Effacer. Faire place nette sur la futile représentation de l'espace et de la société qu'est le plan. C'est en tout cas ce qu'à Moscou en particulier il se passe. Léger, informel, non planifié, mobile... Effacer ! Car il faut bien faire correspondre le monde à la carte ! La virtuelle touche « Suppr » du clavier du faiseur de ville appelant l'expulsion manu militari par les forces de l'ordre. Les troupes de Valls comme celles de Poutine ou du maire de Moscou font place nette sur le calque qui est leur réalité. Ici les uniformes détruisent les bidonvilles en lisière d'une métropole fantasmée. Là, d'autres uniformes déferlent dans des baraquements du chantier métropolitain pour en chasser l'étranger.
La ville par le vide trouve d'autres occurrences sous le ciel de l'Est. Depuis longtemps déjà (combien de temps exactement reste à définir) les passages souterrains, que l'urbanisme moderne fit naître sous les routes pour éviter aux flux de piétons de croiser le flux automobile, sont occupés par des échoppes de quelques mètres carrés (2 à 8 tout au plus) dans lesquelles une femme, le plus souvent, vend bijoux, gants, foulards, souvenirs, cigarettes ou chapkas. Mais depuis quelque temps, au prétexte de réfections, ces couloirs retrouvent leur angoissante virginité. Vidés de leurs échoppes, ils sont rendus à leur unique programme de circulation que celles-ci ne semblaient pourtant pas perturber. Les micros bazars souterrains de proximité disparaissent à l'instar des plus grands, et peut-être doit-on lire ici, la chasse aux individus et à une économie grise ou non planifiée : l'économie de bazar.