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HABITER COMME CONTESTER

Numéro 5


C'est à la frontière moldavo-ukrainienne que nous commençons l'exploration des nomadismes réels, mythiques ou supposés de cet Est d'où viennent les habitants des bidonvilles de l'Ouest. Par des routes littéralement défoncées malgré les perfusions monétaires européennes, nous franchissons en trois heures les 134 kilomètres qui séparent Chisinau, la capitale, de Soroca.

« Soroca, capitale régionale du nord-est de la Moldavie, là où le fleuve Dniestr dessine une frontière avec l'Ukraine. Perchées sur une colline, des maisons monumentales, rivalisant de luxe et de fantaisie, toisent les demeures faméliques situées dans la ville en contrebas. » à quoi bon en écrire un autre ? Les chapô d'articles disent tout. Alors reprenons celui ci-dessus extrait de la revue Politis n°1210. Peut-être pourrions nous y ajouter le titre de l'article « Soroca ville romantique » ou encore son sous-titre « D'où viennent ces grands voyageurs stigmatisés partout ? À quoi ressemble leur vie quand ils sont « chez eux » en Moldavie ? »
De Soroca, tout semble avoir été dit, par les journalistes, par les guides aussi « pastiche », « kitsch », « Disneyland ». Les mots, tous les mots sont lancés sur Soroca. Les mots rassurent et anesthésient la contestation que l'existence même de cette ville constitue. « Trafic », « drogue », tous les mots lancés, du chauffeur de taxi au loueur, pour criminaliser la nature du lieu : La « colline aux Tsiganes » quand ses habitants disent « Montagne ».
Ce sont des Capitoles, des Théâtres Bolchoï, des palais qui poussent ici, lentement, les pieds dans la boue. La maison de la fille de Nikolaï qu'il tient à nous faire visiter est en construction depuis 1999.

« Et en France, ça existe les tsiganes riches ? »
C'est une oeuvre polyphonique qui singe, moque peut-être, en tous les cas décale et ringardise les originaux qu'elle copie. C'est la capitale d'une nation encore inexistante. C'est l'Israël Rrom. Une ville qui conteste face au racisme, aux préjugés, à l'extermination que subissent ou ont subis les Rroms. C'est un potlach, une série de dépenses somptuaires qui hissent ses habitants et leurs représentants comme le Baron Cerari à la hauteur des grands de ce monde et les ridiculise. Comme le Baron singeant de bonne grâce avec moi la photo d'une rencontre protocolaire entre chefs d'État devant la ruine de la limousine d'Andropov parquée, les roues en terre dans son jardin. Un cliché conscient, cliché parce que la voiture de l'ancien premier secrétaire du parti communiste de l'Union soviétique, parce que la photographie, parce que le Baron orchestre et permet cela. Tous deux nous nous hissons à la hauteur des chefs du monde ou plutôt les faisons-nous tomber à la nôtre, celle qu'ils ne devraient pas quitter.

« C'est vrai que Sarkozy est gitan ? »
C'est l'idée de la capitale dégadgéïsée par glissement, lente évolution ou sérendipité (comme il est de mode). Peu importe. Les codes des pouvoirs sont ici détournés. Leur connaissance, leur savoir, rassemblés, recomposés pour inventer l'histoire d'un peuple que l'Histoire oublie. Luxe, valeurs, mysticisme, s'agglomèrent et s'organisent comme le font les boules d'atome pour composer une molécule.

Douce vengeance ? Réponse ? Souveraineté en tout cas !
L'invitation est simple mais prend par la présence et les talents du Baron un tour protocolaire. Nous franchissons un perron sous lequel sa femme épluche des légumes avant d'entrer dans un salon au rez-de- chaussée qui dévoile la faible profondeur de la maison, son caractère de façade. On est invité à s'asseoir dans un canapé profond. Le Baron se cale dans un fauteuil assorti. Il ne nous fait pas face mais nous offre son profil de sage indien à longue barbe blanche. Sa tête se tourne vers nous quand il nous adresse la parole.

« Thé ? Café ? »
Sa femme, sa fille et lui se lèvent et apportent une longue et haute table dont nos têtes émergent à peine. Il apporte une chaise et s'attable. Désormais il nous surplombe nous servant à l'envi thé, cognac et pâtisseries.
Il nous invite à poser des questions mais il a surtout une histoire à raconter, celle de sa famille à qui Stefan Cel Mare, monarque et héros moldave du XVe siècle fit appel dans sa résistance à l'empire ottoman pour forger ses armes et celles de son peuple. Une mythologie qui, encore une fois, emprunte et détourne les savoirs et connaissances des tsiganologues gadgés pour se recomposer en épopée fondatrice alliant peuple juif, templiers, maçons, élus d'une histoire secrète de l'humanité qui conteste et dépasse les tentatives d'extermination. Drogue ? Trafics ? Autant d'accusations lancées par le petit peuple moldave, victime de la corruption et du cannibalisme d'un capitalisme sauvage explorant le territoire comme un nouveau Far West et plongeant 2 700 000 individus dans l'économie de survie, en poussant 1 000 000 à s'expatrier en nomadisme transfrontalier et profitant à une poignée qui étale cette richesse de manière non moins ostensible que les palais Rroms de Soroca. Cependant, aujourd'hui le Baron ne semble pas avoir détourné de fonds européens. Le ferait-il, sans doute, ne se hisserait-il, avec unpanache forain, qu'à la hauteur de n'importe quel technocrate, homme d'affaires ou politique moldave qui, aux dires de notre chauffeur, ont englouti, en voitures allemandes encore inédites sur le marché germanique, les 3 000 euros de subventions européennes, qui auraient pu revenir à chaque Moldave.
On le comprend alors, tout n'est ici qu'ambivalence. Villes, personnages, mythes qui se doivent lire sous différents angles et vérités. Le terme de kitsch , si souvent utilisé pour les dire, cache et préserve le gadgé visiteur, lecteur ou intervieweur de la gravité foraine de la contestation face à l'Europe et l'Histoire que ces constructions constituent ; et qu'architecte, philosophe ou artiste en mal de « forainité » feraient bien d'entrevoir. Nous y reviendrons.

Sommaire du numéro 5
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ET SI PARIS FAISAIT SEMBLANT DE NE PAS VOIR SON FONCIER?
HABITER COMME CONTESTER
LA ROUTE VERSUS LE MUR
L'HABITAT MOBILE OUVRIER DE DIEPPE À MOSCOU
L'HABITER MOBILE OU L'ALTERMÉTROPOLISATION
L'HYPOTHÈSE DE L'HISTOIRE
MOSCOU : DÉRIVE EN TERRITOIRE MIGRANT
ON VA LÀ OÙ IL Y A DU TRAVAIL !
SAVOIR MAISON GARDER : UNE VILLA MOBILE RECOMPOSABLE
EDITO / JOURNAL À TITRE PROVISOIRE N°5 : MAKHNOVTCHINA / ENTRE CIRCULATION ET SÉDENTARISATION : HABITER L'IMMOBILIER
NOIRE LA RUBRIQUE : SUR LA ROUTE!
BIDONVILLE DE QUI ES-TU LE PROBLÈME ? DE QUOI ES-TU LA SOLUTION ?
TU VEUX QU'ON BOUGE ? OK ! MAIS COMME ON NE DÉMÉNAGE PAS D'UN BIDONVILLE

Réalisation : Échelle inconnue

MAKHNOVTCHINA
MAKHNOVTCHINA
Makhnovtchina est un repérage actif des nouvelles mobilités urbaines et périurbaines à l'heure des grands projets de métropolisation. C'est un atelier itinérant de production participative d'images (fixes, vidéos, ou multimédia), de textes, de cartes, de journaux, « Work in progress ». Ce travail mené par des architecte, géographe, créateur informatique, sociologue et économiste vise à terme la proposition d'architecture ou d'équipements mobiles et légers. Ce travail vise, en outre, à explorer les futurs vides ou terrae incognitae que créent ou créeront les métropoles. Il propose une traversée du terrain d'accueil pour « gens du voyage » au marché forain en passant par les espaces des nouveaux nomadismes générés par la déstructuration des entreprises, notamment de réseau (EDF, GDF, France télécom...), ainsi que par les campings où, faute de moyens, on loge à l'année. Une traversée, pour entendre comment la ville du cadastre rejette, interdit, tolère, s'arrange, appelle ou fabrique la mobilité et le nomadisme. Ce projet de recherche et de création s'inscrit dans la continuité de certains travaux menés depuis 2001 : travail sur l'utopie avec des « gens du voyage » (2001-2003), participation à l'agora de l'habitat choisi (2009), réalisation d'installation vidéo avec les Rroms expulsés du bidonville de la Soie à Villeurbanne (2009) et encadrement du workshop européen « migrating art academy » avec des étudiants en art lituaniens, allemands et français (2010). Il tente d'explorer les notions de ville légère, mobile et non planifiée avec ceux et celles qui les vivent.