La maison semble, de fait, une contradiction à l'obsession métropolitaine : la densification. Elle en est l'antithèse. Portée par les valeurs bourgeoises du « ça m'suffit » propres à l'expansion pavillonnaire, critiquée en son temps par Cendrars, elle est considérée comme une valeur rétrograde face à laquelle les politiques de métropolisation ont beau jeu.
Cependant, où et sous quelle forme savoir maison garder est-il nécessaire ? En quoi s'inscrit-il dans une logique de bien commun ? En somme, en quoi peut-il être un pendant
nécessaire à la métropole ? C'est ce à quoi ce projet tente de répondre en proposant une maison mobile et recomposable pour nouveaux mobiles.
De l'esthétique pavillonnaire et foraine : kitsch existentiel ou l'affirmation d'un Soi supposé
Nous ne construisons pas ici pour les cadres mobiles de la métropole, mais pour les délaissés de celle-ci, contraints à la mobilité, ceux pour qui hier on vendait le rêve pavillonnaire. Ce projet est donc destiné à un couple de « nouveaux mobiles », c'est-à-dire à des personnes d'origine sédentaire, véhiculant avec elles les valeurs attachées à la pierre, à la maison, à la propriété (même symbolique). Il ne s'agit pas de réparer les erreurs du délaissement passé, mais bien de considérer que le lotissement, le pavillon a désormais fait «culture », esthétique. C'est de cette culture que nous partons et non d'un présupposé « hissement » des habitants vers une qualité architecturale, tout aussi supposée, dans un effort prosélyte d'avant-garde.
D'autre part, nous réutilisons ici des principes et techniques parfois déjà utilisés, pensés ou inventés par ou pour les Voyageurs tenant, sur notre territoire, de la culture et des techniques du savoir-vivre mobile. Culture ignorée ou ostracisée, elle trouve, en partie, sa plastique dans l'esthétique foraine.
C'est donc à partir de ces deux « kitsch » forains et pavillonnaires que nous développerons la plastique du projet, loin des surfaces lisses des gadgé, qui en sont venus à singer les images de synthèse.
Entre mobilier et im-mobilier
C'est entre ces deux notions que ce projet balance. La mobilité et l'immobilité étant les phases successives de ce mode d'habiter. La maison mobile doit savoir se comporter en meuble comme en immobilier. Certaines solutions ont déjà été apportées par le caravaning, en terme d'aménagement des petits espaces que la mobilité imposait, d'autres par les constructeurs forains, en terme d'extension de superficie, en équipant les camions de procédés télescopiques. Le projet tente de réenvisager ces différents procédés les mettant, pour ainsi dire, sans dessus dessous, en créant un meuble/maison.
Public / Privé une porosité à réenvisager
Dans l'implantation « traditionnelle » des caravanes de « Voyageurs », on retrouve un plan en U ou en carré dont les côtés sont composés des caravanes des parents (la grande), de « la camping » (petite caravane, souvent rachetée à une famille de gadgé campeurs et servant de cuisine) et la, ou les, caravanes des enfants. Ce plan en U ou en carré est symbolique, la distance entre les caravanes le rend à peine perceptible. Il est cependant fondamental et constitue un espace quasi privé, sorte de salon en extérieur (au milieu duquel l'architecte en charge de l'aménagement des aires d'accueil, n'y voyant qu'un espace libre, plante souvent les toilettes.) Cet espace est cependant utile et fait partie des espaces/lieux/outils que nous choisissons de conserver et d'hybrider. Il rend possible une sorte d'extension visuelle et symbolique de l'espace intérieur. Nous le reprenons ici, le transformant en une sorte de cour/terrasse intérieure, entre le patio et carré déjà décrit.
« Maison garder », mot d'ordre et réponse possible à la crise du logement
Nous partons ici d'une base simple et peu onéreuse un camion de 20m3 utilisable avec un permis B et pouvant aisément se trouver d'occasion. D'autre part, un soin tout particulier sera porté à l'énergie propre du logement. Le choix du camion lui-même y contribue (le nouveau modèle de Renault 20m3 disposant d'une version de motorisation électrique).
Notre couple, pour raisons professionnelles, est contraint de se séparer plusieurs mois dans l'année. Il doit donc, s'il ne veut abandonner l'idéal de la maison (que sa culture engendre), bénéficier d'une maison pouvant se séparer puis se réassembler lors de leur période de vie commune. Ces deux demi-maisons sur roues se réassemblent sur un terrain qui est le leur, autour d'un noyau, un « plug/ » ayant autant une fonction d'ancrage symbolique (symbole de normalité) que d'espace commun de jonction et concentrant les fluides et les énergies.
Ce plug doit permettre l'inscription ou l'ancrage de la maison. Un des côtés de ce plug s'ouvre pour créer une terrasse hybride entre le salon extérieur traditionnel des familles de Voyageurs et la terrasse de villa ou pavillon. Disposé sur le terrain appartenant au couple, on doit pouvoir être en mesure de le retrouver sur tout le territoire, de le généraliser sur des terrains plus collectifs. Ce pavillon source concentre l'ensemble des fluides et énergies, on doit pouvoir s'y brancher ou y délocaliser une partie de la maison mobile, comme la cuisine qui s'inspirera de la « boite à gaz » des Voyageurs, ou encore les WC qui pourront se glisser à l'intérieur du plug, se soustrayant aux regards indiscrets, et se fixer au dessus de puits sans fond, receveurs de matières fécales. Lorsqu'un puit sans fond est plein, le plug, fixé sur des rails se déplace jusqu'à un autre puit et un arbre est planté dans celui rempli de compost. Du plug à l'urbanisme mobile.